Amsterdam © Eloïse Guillard / Kanaal

À l’école des DJs de demain

Les Pays-Bas sont le ber­ceau de monu­ments de la scène EDM (Elec­tro Dance Music) comme Armin van Buu­ren ou Tiës­to. Afin de maî­tri­ser l’art du DJing, les aspi­rants DJs sont nom­breux à se for­mer dans des écoles. À la DJ School Amster­dam, la future scène DJ s’é­veille.

Tan­dis que les spots aux cou­leurs rétro balayent la pièce et que les gens dansent sur la piste, elle se tient der­rière les pla­tines. DJ Moni­ca fait corps avec sa musique. Les 200 per­sonnes pré­sentes se déhanchent au rythme d’un Pump Up the jam de Tech­no­tro­nic ou d’un Livin’ On A Prayer de Bon Jovi. Le thème de la soi­rée est mar­qué d’un néon en leds : 80’s. C’est au Melk­weg, l’une des plus célèbres boîtes de nuit d’Amsterdam, que les jeunes adeptes et nos­tal­giques des années 80 se sont don­nés ren­dez-vous. Pour DJ Moni­ca, c’est la consé­cra­tion d’une car­rière qui a débu­té il y a seule­ment deux ans. Pour la foule, c’est un ven­dre­di soir comme un autre. Der­rière ce nom de scène se cache Soraya, 45 ans, maman d’une petite fille de 7 ans le jour et DJ la nuit. « Je me suis dit que si ce n’é­tait pas main­te­nant, ce serait quand. » C’est ain­si qu’en 2022, Soraya quitte son métier dans le sec­teur de la san­té et s’offre un cours d’initiation à la DJ School Amster­dam, l’une des plus anciennes écoles de DJing des Pays-Bas. « J’ai décou­vert que l’é­cole était juste au bout de ma rue. »

À l’é­cole, envi­ron 30% des étu­diants veulent deve­nir pro­fes­sion­nel. © Eloïse Guillard / Kanaal

C’est en plein cœur d’Amsterdam, dans les sous sols du Q‑Factory, un centre de créa­tion musi­cale, qu’Olivier et Roe­land Mei­js, deux frères DJs, posent bagages en 2016. Il faut pas­ser le café des artistes et des­cendre les esca­liers en béton pour arri­ver à l’école des DJs. Les murs en pan­neaux de bois sont déco­rés du logo de l’école : un casque orné des trois croix du dra­peau d’Amsterdam. Les allées sont désertes. Un silence étrange flotte dans l’air. Les stu­dios sont si bien inso­no­ri­sés que lorsque l’une des cinq portes du cou­loir s’ouvre, une explo­sion de musiques élec­tro­niques en tout genre réus­sit à s’é­chap­per. Ici, pro­duc­teurs, DJs et musi­ciens se cloîtrent dans dix mètres car­rés pour créer. Au fond du cou­loir se cache la plus grande pièce : une salle de classe aux allures de boîte de nuit. À l’intérieur, les lumières des spots rose et bleu se reflètent sur l’imposante boule a facette sus­pen­due au pla­fond.

C’est ici que se déroule le cours de Ger­win Chan. L’étudiant de 24 ans s’installe comme à son habi­tude, der­rière les pla­tines noires Pio­neer qui trônent au centre de la pièce. « Je n’ai qu’à appor­ter ma clé USB. » Après avoir enfon­cé son casque sur ses oreilles et appuyé sur le bou­ton play, les basses se mettent à réson­ner dans toute la pièce. Maceo Novi­ca, pro­fes­seur à l’école depuis trois ans, hoche la tête au rythme de la musique, assis sur une chaise. Ger­win se concentre sur les bou­tons pour enchaî­ner les tran­si­tions. De la bass house embaume la pièce, un style carac­té­ri­sé par des basses très pré­sentes, des voix pit­chées et des ryth­miques tirées de la house. Sou­dain le rythme se casse. Maceo inter­vient pour lui expli­quer que le choix du son n’est pas le bon. Après un bref échange, la musique repart. « Si j’ai une liste d’un mil­lier de sons, je dois tous les connaître. Ça demande beau­coup de temps », m’explique Ger­win en remet­tant sa veste.

Après être pas­sé sur les bancs de la Her­man Brood Aca­dé­mie, l’école dans laquelle Mar­tin Gar­rix s’est for­mé, Ger­win a déci­dé de suivre la for­ma­tion de DJ à la DJ School Amster­dam. Le pro­gramme le plus com­plet pro­po­sé par l’école. Cela fait un an qu’il étu­die en paral­lèle de son job en tant que chef dans un res­tau­rant de sushi. « Je vais démis­sion­ner cet été. Je veux juste me concen­trer sur la pro­duc­tion de musique. » La leçon d’aujourd’hui est à l’image de l’école : un cours pra­tique. Sur le mur de la salle sont pla­car­dées quatre mots : sons, timing, mixage et image. La for­mule d’apprentissage qui fait la réus­site de l’école, « The Big 4 ». Un sys­tème qu’Olivier et Roe­land ont mis en place dès la créa­tion de l’école en 2008, et qui assure cou­vrir les quatres points car­di­naux du DJing. Savoir choi­sir les bons sons, les jouer au bon moment, les mixer cor­rec­te­ment entre eux et construire son image en tant que DJ. Une recette simple. En appa­rence.

« The Big 4 », les quatre points car­di­naux de l’ap­pren­tis­sage du DJing. © Eloïse Guillard / Kanaal

« Je suis née pour faire à ma façon »

Du haut de ses 128 cen­ti­mètres, un enfant de 8 ans sort du stu­dio d’enregistrement. À ses côtés, Maceo et son mètre quatre-vingt. Le gar­çon vient tout juste de ter­mi­ner son cours de DJing. « À la semaine pro­chaine », lance Maceo tan­dis que le petit enfile son sac à dos et se dirige vers la sor­tie. « Avec les enfants, l’ob­jec­tif est pure­ment ludique », explique le pro­fes­seur de 27 ans.

Pour les adultes, c’est une affaire sérieuse. Venu des Pays-bas, d’Inde ou encore de Rus­sie, tous arrivent avec l’ambition de maî­tri­ser l’art du DJing. Chaque année, ils sont un mil­lier à arpen­ter ces cou­loirs. Pour­tant les étu­diants ne font pas foule dans les sous sols du bâti­ment. Ici les cours sont uni­que­ment par­ti­cu­liers. « J’aime le fait de ne pas avoir à me com­pa­rer à d’autres étu­diants et pou­voir évo­luer à mon rythme », assure Isa­belle Rof­fel­sen, étu­diante à l’école depuis 2019. La jeune femme de 27 ans a ter­mi­né la for­ma­tion que suit Ger­win, com­pre­nant 20 leçons d’une heure, 10 heures de stu­dio et un accom­pa­gne­ment pour se pro­duire sur scène. Désor­mais, elle pour­suit sa for­ma­tion de pro­duc­teur. Des pro­grammes qui s’é­lèvent au prix de 2 249 euros. Un inves­tis­se­ment pour celles et ceux déter­mi­nés à construire une car­rière.

Les pla­tines Pio­neer de l’é­cole sont celles de réfé­rence pour la majo­ri­té des DJs pro­fes­sion­nels. © Eloïse Guillard / Kanaal

« Je veux deve­nir bonne », rigole Isa­belle avant de reprendre une gor­gée de café. Avec son look de sur­feuse, petits tatouages sur les doigts et col­lier en coquillages, Isa, de son pseu­do, est loin de l’image du DJ aux habits noir. Elle se plaît dans les sons groo­vy. « Je pense que je suis née pour faire à ma façon. » « Entre être DJ et savoir mixer des disques, il y a une grande dif­fé­rence », défend Maceo en se redres­sant dans le cana­pé en cuir du cou­loir. La tech­nique, elle, peut s’apprendre à la mai­son, mais le secret pour réus­sir : « Per­sonne ne veut d’une copie conforme. Il faut être nou­veau, être soi-même et cela se fait en s’ins­pi­rant et en conti­nuant à s’ins­pi­rer. » C’est dans cette logique que les 8 pro­fes­seurs de la DJ School Amster­dam forment leurs élèves aux réa­li­tés du mar­ché.

Trouver l’équilibre

Même si Amster­dam regorge d’opportunités pour les DJs, ils sont de plus en plus nom­breux à vou­loir se faire un nom : « C’est bien plus dif­fi­cile de se faire une place aujourd’hui qu’il y a quatre ans », explique Cas­per Mei­jn, pro­fes­seur à l’école depuis mai der­nier, ados­sé à la porte du stu­dio. L’après Covid a per­mis à de nom­breux col­lec­tifs de se créer et à de nom­breuses per­sonnes de se lan­cer. Mais aujourd’hui le mar­ché est bou­ché.

Pour se faire une place, être dans un label ou une agence est une solu­tion. « Être indé­pen­dant est plus ren­table, mais les labels donnent une forme de cré­di­bi­li­té et d’ex­po­si­tion », détaille Maceo. Trou­ver un label se révèle être une tâche ardue : « Vos chances de signer un contrat sont très faibles si vous ne connais­sez per­sonne », atteste Ger­win. Grâce à une connexion, Isa­belle, elle, tra­vaille désor­mais avec une agence qui lui per­met de signer 2 dates par mois. Une cou­ver­ture ras­su­rante pour s’as­su­rer de tou­cher un peu d’argent.

 « Main­te­nant que je vis le rêve, je vois que je ne peux pas en vivre »

Soraya

« Vous gagnez 250 euros par soir, en un mois vous pou­vez faire 2000 euros si vous signez des grosses soi­rées », selon Oli­vier. « Je veux juste vivre de ce que j’aime », déclare Ger­win en sou­riant. Pour cela, les étu­diants doivent déve­lop­per leur image. Grâce à Oli­vier, Soraya a réus­si à manier les rouages des réseaux sociaux. « Je signe des soi­rées en étant sur Ins­ta­gram et Face­book 24 heures sur 24, sept jours sur sept. J’ai envoyé tel­le­ment de SMS, d’e-mails, de DMS…» Mal­heu­reu­se­ment, la fin du mois se fait sen­tir : « Main­te­nant que je vis le rêve, je vois que je ne peux pas en vivre », confie Soraya qui a retrou­vé un métier pour com­bler les trous.

L’autre levier est de déve­lop­per son réseau. « Il faut mon­trer son visage chaque fois que l’on peut, dans les soi­rées », com­mente Cas­per.  En somme, ser­rer le plus de mains pos­sibles jusqu’à ce que les oppor­tu­ni­tés se pré­sentent. « Tous les grands noms ont tou­jours cru en quelque chose, ils ont eu des oppor­tu­ni­tés bien sûr, mais c’est aus­si une com­pé­tence d’être au bon endroit au bon moment », témoigne Maceo.

Le Melk­weg, fon­dé en 1970, est aujourd’­hui l’un des prin­ci­paux centres de musique, de théâtre, de ciné­ma, de danse et d’arts mul­ti­mé­dias de la ville. © Eloïse Guillard / Kanaal

« Le plus dif­fi­cile c’est trou­ver l’é­qui­libre entre le monde nor­mal et le monde de la fête », confie Isa­belle. Der­rière les cli­chés du DJ par­cou­rant le monde, les débu­tants se heurtent aux réa­li­tés du métier : dis­ci­pline, hygiène de vie, tra­vail achar­né. Des horaires de vie par­fois iso­lants : « Il y a des moments où la danse me manque, la liber­té et l’in­sou­ciance. Quand vous êtes de l’autre côté, dans les bottes de DJ, vous devez diver­tir, c’est beau­coup de pres­sion », raconte Soraya.

« C’est très dif­fi­cile et beau­coup de choses entrent en jeu, mais il faut s’a­mu­ser, c’est le plus impor­tant », conclut Maceo en fer­mant à clef la porte du stu­dio.

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