Au Nord d’Amsterdam, le club sportif Only Friends accueille plus de 800 enfants en situation de handicap. Une initiative rare qui permet à chacun de faire de l’exercice dans un centre entièrement adapté.
« Papa, je ne veux plus jouer au foot ». En 2000, Myron Gebbink a sept ans. Atteint de lésions cérébrales causées par une naissance prématurée, le petit passionné n’arrive plus à suivre le rythme imposé par ses coéquipiers valides du club de son quartier d’Amsterdam. Il veut arrêter. Problème : aucune équipe adaptée n’existe pour l’accueillir. Mais hors de question pour son père Dennis de voir son fils abandonner ses rêves. Ce dernier décide alors de créer son propre club : Only Friends. L’objectif est d’accueillir tous les jeunes atteints de handicap voulant faire du sport. Au premier entraînement organisé en février 2000, huit enfants débutent l’aventure.
Aujourd’hui, Only Friends compte pas moins de 844 membres et la passion du gamin pour le foot n’a jamais cessé de se renforcer. À 31 ans, la démarche chancelante de Myron, due à son handicap, ne l’empêche pas de courir donner des conseils aux quatre coins du terrain. Chronomètre cramponné à la main droite, il entraîne désormais dans le club de son père. L’ancien défenseur s’appuie sur son expérience. En 2017, il disputait la Coupe du monde en Argentine avec l’équipe paralympique néerlandaise.
Depuis 2010, Only Friends a pris ses quartiers dans le seul centre sportif d’Europe entièrement équipé pour les jeunes handicapés, appelé centre sportif de l’Amitié. Au milieu de quartiers populaires d’Amsterdam apparaît cet immense complexe de 47 000 mètres carrés impressionnant de modernité. Totalement vitré, ce semblant de vaisseau spatial rendrait jaloux bon nombre de clubs professionnels. Le complexe est équipé d’une piscine, d’un gymnase, d’un dojo et d’une salle de fitness dernier cri. Autour, deux terrains de foot et une piste d’athlétisme complètent ce centre financé à l’origine par la fondation Ronald McDonald. Ces infrastructures permettent au club d’offrir à ses membres la possibilité de pratiquer 29 sports différents.
Accueillir toutes les formes de handicap
Ce mercredi après-midi de février, il faut être courageux pour braver les trombes d’eaux qui s’abattent sur la capitale néerlandaise. À 15 km du centre sportif de l’Amitié, devant l’école spécialisée Drostenburg, John Brun attend comme chaque semaine la sortie des classes. Avec son minibus décoré aux couleurs d’Only Friends, il vient récupérer quatre écoliers pour les emmener à l’entraînement. La mine joyeuse malgré la grisaille et avec une énergie débordante pour ses 80 bougies, il assure « prendre toujours autant de plaisir à aider ». Ce service est totalement gratuit pour les familles, John est bénévole.
Sylvian, 10 ans, est l’un des chanceux du jour. Assis à l’avant du véhicule, son sourire, qui ne disparaîtra pas une seconde durant les 25 minutes de trajet jusqu’au centre, trahit son impatience à l’idée de se défouler balle au pied.
À peine débarqué sur les lieux, Sylvian sprinte vers les ballons au cœur du terrain. Son père, Hylke Tijsma, l’attendait. Il ne rate pas un seul de ses entraînements. Accompagné de nombreux parents au bord de la pelouse, l’émotion se lit sur son visage au moment d’évoquer l’histoire de Sylvian. Né avec un kyste au cerveau, son fils est diabétique et atteint de graves difficultés motrices. Le néo-footballeur aux crampons oranges a appris à marcher tard, à 6 ans, et n’arrive pas encore à s’exprimer.
Entre deux encouragements, Hylke Tijsma rappelle à quel point il est « reconnaissant envers le club ». Depuis son arrivée à Only Friends en juillet dernier, son fils ne veut plus quitter l’entraînement. Au-delà du challenge sportif, c’est la dimension sociale qui touche le père : « Sylvian n’a jamais vraiment eu d’amis, les enfants de son école ne jouaient pas avec lui car il est différent. Ici, il se fait des copains et connaît un véritable esprit de groupe ».
Sylvian est le coéquipier d’enfants en fauteuil roulant. D’autres sont atteints de nanisme ou d’autisme. Myron et Dennis Gebbink, le duo à l’origine d’Only Friends, tiennent à offrir des possibilités à chaque type de handicap, qu’il soit physique ou mental. Leur mantra : « Accueillir tout le monde, être une deuxième maison ».
« De nombreuses barrières ont été supprimées »
Sur la pelouse, les enfants atteints des handicaps les plus sévères sont chacun guidés par un bénévole. Pour permettre cet accompagnement individualisé, ils sont plus de 150 à donner de leur temps gratuitement. Adossé au poteau d’une des cages de la confrontation du jour, Edwin est l’un d’entre eux.
Le fan de l’Ajax Amsterdam est arrivé à Only Friends tout petit. À cause d’une opération du cœur ratée, subie à un an, il est atteint de graves dysfonctionnements cardiaques. Sa voix, aussi faible que rocailleuse, témoigne de ses difficultés. Pour lui, aider le club est apparu comme une évidence : « Je ne fais que rendre ce que Dennis et Myron ont pu m’apporter ». Pour entretenir cet esprit familial, une coutume a été instaurée à chaque fin d’entraînement. Joueurs et staff se réunissent au centre du terrain puis décomptent de 10 à 0 avant de crier « Only Friends », dans un déluge de rires et de remerciements chaleureux.
Aux Pays-Bas, un habitant sur dix est en situation de handicap, dont plus de 100 000 enfants. Caroline Van Der Lindert étudie depuis seize ans l’intégration des personnes handicapées dans le milieu sportif à l’Institut Mulier, spécialisé dans la recherche scientifique sur le sport. Elle admet que « ces dernières années, des dispositifs de soutien ont été créés, et de nombreuses barrières, notamment matérielles, ont été supprimées pour permettre plus d’inclusivité ». Aide financière pour l’achat d’équipements, essai gratuit de certaines disciplines, plateforme recensant toutes les organisations adaptées… Les Pays-Bas mettent en place de multiples mesures pour favoriser l’intégration des personnes handicapées.
Les efforts consentis peinent néanmoins à cacher des inégalités persistantes. Si 28% des personnes en situation de handicap dans le pays pratiquent du sport chaque semaine, cela reste deux fois moins que le reste de la population néerlandaise. La raison : certaines formes de handicap réclament des équipements très coûteux, qui manquent à de nombreuses associations.
Maintenir le club en vie pendant un siècle
Chez Only Friends, portes automatiques et machines spécialisées font partie intégrante du centre. Tout est pensé et aménagé pour les enfants. L’exemple le plus parlant réside dans les couleurs du bâtiment. Les murs et le sol de la section dédiée à la natation sont entièrement bleus, même chose en rouge pour la partie foot et vert pour le dojo et la salle de fitness. Pourquoi ce choix ? « Certains enfants ne reconnaissent pas les lieux mais seulement les couleurs » explique Myron Gebbink.
Un tel équipement se révèle particulièrement coûteux. À lui seul, le complexe avale plus d’un million d’euros par an pour rester à la pointe de la technologie. Judith Cohen, responsable des partenariats chez Only Friends, détaille la délicate équation qui permet au Centre Sportif de l’Amitié de disposer de ces infrastructures : « Beaucoup de sponsoring, un peu d’aide du gouvernement et la possibilité pour les entreprises de venir faire des séminaires et louer des terrains ».
Pour devenir membre d’Only Friends, il faut tout de même débourser 120 euros par an. Un tarif que Myron Gebbink ne souhaite pas voir augmenter : « Les parents d’enfants en situation de handicap ont déjà beaucoup de dépenses à faire pour améliorer leur quotidien ». L’objectif du duo fondateur père-fils, dont le portrait et l’histoire sont affichés à l’entrée du centre, est de maintenir le club en vie pendant 100 ans. Un quart du chemin sera fait l’année prochaine.
À la tombée de la nuit, un dernier cri de guerre retentit au centre du terrain. Plus timide cette fois, ils ne sont que cinq à participer au dernier entraînement du jour. À l’arrière du centre, à l’abri des regards, une étoile continue de briller. Elle trône au sommet d’un monument en hommage à tous les enfants décédés alors qu’ils étaient membres du club. « La face cachée du handicap » souffle Myron Gebbink. Sur l’édifice, une phrase inscrite :
« Tant qu’il y aura des étoiles dans le ciel, Only Friends t’aimera ».