Haarlem et Arnhem © Augustin Lassaussois / Kanaal

Des barreaux aux bureaux, la nouvelle vie des prisons

Aux Pays-Bas, les pri­sons ferment les unes après les autres à cause de la baisse du nombre de déte­nus. Les bâti­ments, eux, res­tent et béné­fi­cient d’une seconde vie. 

Le Dôme sur­plombe la ville d’Haarlem, en ban­lieue ouest d’Amsterdam. Le toit métal­lique de cette ancienne pri­son se fond dans un ciel cou­leur gris cendre. Un pour­tour de briques ocres enrobe le bâti­ment, dont les fenêtres sont tou­jours cou­vertes par des grilles. Ouverte de 1901 à 2016, la pri­son d’Haarlem a été réha­bi­li­tée en 2022 en un com­plexe de 1000 m², bap­ti­sé le « Dôme » (De Koe­pel en néer­lan­dais), mêlant des bureaux, une uni­ver­si­té, un ciné­ma ou encore un café. Une ten­dance loin d’être nou­velle dans le plat pays.

La vue exté­rieure du Dôme, ancienne pri­son d’Haarlem. © Augus­tin Las­saus­sois / Kanaal

Depuis plu­sieurs années, les pri­sons néer­lan­daises se vident, faute de déte­nus. Alors qu’ils étaient 20 000 en 2004, ils ne sont plus que 9 415 aujourd’­hui. Un phé­no­mène qui s’explique par plu­sieurs rai­sons. Tout d’abord, aux Pays-Bas, les peines de pri­son sont plus courtes : en moyenne 5,1 mois de réten­tion pour les déte­nus néer­lan­dais contre 11,1 en France. Comme les pri­son­niers res­tent moins long­temps, les va-et-vient sont nom­breux. Ensuite, les juges pri­vi­lé­gient la réin­ser­tion à l’incarcération. Les peines alter­na­tives à la pri­son, comme les tra­vaux d’in­té­rêt géné­ral ou les amendes, sont plus nom­breuses et per­mettent ain­si de désen­gor­ger les péni­ten­ciers. La sur­veillance par bra­ce­let élec­tro­nique est deve­nue, de l’autre côté, mon­naie cou­rante dans le royaume. Enfin, une baisse de la cri­mi­na­li­té est obser­vée dans l’ensemble du pays, même si celle-ci concerne avant tout la petite et moyenne délin­quance. Résul­tat, les Pays-Bas ont fer­mé 23 pri­sons entre 2015 et 2020. Les bâti­ments vides, sans déte­nus ni uti­li­té, béné­fi­cient donc la plu­part du temps d’une seconde vie.

« Allier culture, éducation et affaires »

« La recon­ver­sion de la pri­son a pris beau­coup de temps », confie Mike Rij­kers, ini­tia­teur de la réha­bi­li­ta­tion du Dôme, depuis son bureau situé au der­nier étage du vaste bâti­ment. Comme d’autres péni­ten­ciers après leur fer­me­ture, le Dôme a d’abord ser­vi de centre d’accueil pour des réfu­giés syriens. De 2016 à 2020, d’âpres négo­cia­tions entre le gou­ver­ne­ment néer­lan­dais et la muni­ci­pa­li­té d’Haarlem ont lais­sé la pri­son com­plè­te­ment vide. « Au début, l’idée était d’en faire un casi­no ou un hôtel, mais les habi­tants d’Harleem vou­laient créer un lieu d’échange, où tout le monde pou­vait venir, comme un parc dans la ville », pour­suit-il. Après deux ans de tra­vaux réa­li­sés en par­tie par des anciens déte­nus ayant pur­gé leur peine, le Dôme ouvre ses portes en jan­vier 2022.

Les quatre esca­liers kaki en coli­ma­çon ser­pentent tou­jours autour du bâti­ment. Les numé­ros des cel­lules sont tou­jours encrés sur les murs. Des lumières arti­fi­cielles rouges et jaunes, par­fois ambrées, illu­minent l’ensemble de la cou­pole. « Les cel­lules… enfin, par­don, les anciennes cel­lules, ont ici toutes sortes d’usages », rit ner­veu­se­ment Mike Rij­kers. Ces espaces cloî­trés de 7–8 m² ont été trans­for­més en bureaux, toi­lettes, débar­ras, lieux de réunion et même en salles à man­ger. Mais « le gros du tra­vail » comme il le dit, « c’était l’acoustique » : « Comme, tout était vide, il y avait un fort écho. Le moindre de nos mots réson­nait dans toute la pri­son. » Aujourd’­hui, ses paroles semblent com­pres­sées, voire absor­bées par les parois du Dôme.

Au pre­mier et deuxième étage de l’ancien péni­ten­cier, « Haar­lem Cam­pus », une uni­ver­si­té pri­vée néer­lan­daise, a ins­tal­lé ses locaux. Quelque 210 étu­diants venus du monde entier tra­vaillent en alter­nance dans les 54 entre­prises épar­pillées dans le Dôme. Geor­gia Spa­nou, res­pon­sable des res­sources humaines de l’université, est épa­nouie dans cet envi­ron­ne­ment. Même si elle se sent « par­fois un peu enfer­mée » à cause du « manque de fenêtres », la jeune femme voit le Dôme comme « un bâti­ment ins­pi­rant » qui « pro­meut la créa­ti­vi­té ». Mike Rij­kers l’assimile même à une « belle repré­sen­ta­tion de la socié­té néer­lan­daise » où des per­sonnes de « tous âges, pro­fes­sions ou reli­gions » tra­vaillent ensemble. Der­rière le Dôme, l’idée prin­ci­pale était « d’allier culture, édu­ca­tion et affaires », détaille l’entrepreneur néer­lan­dais. Au rez-de-chaus­sée, un café-res­tau­rant accueille la cen­taine de tra­vailleurs jour­na­liers du com­plexe du matin au soir. Une salle rem­plie de bornes d’arcade des années 1990 le jouxte. Au sous-sol, un ciné­ma dif­fuse les der­niers films à l’affiche. Un bar orné de bois et de pierre anthra­cite y fait office de récep­tion.

Finir en prison

Clas­sé au patri­moine natio­nal des Pays-Bas, le Dôme a été bâti selon le modèle du pan­op­tique, conçu par le phi­lo­sophe anglais Jere­my Ben­tham à la fin du XVIIIe siècle. Une telle archi­tec­ture offre ain­si une vision à 360 degrés sur les cel­lules. Dans cette pri­son désor­mais réha­bi­li­tée, cha­cun peut ain­si voir comme être vu et ce, tout autour du bâti­ment. Pour Marisq, 19 ans, alter­nante en pre­mière année à Haar­lem Cam­pus, les pre­miers jours ont été par­ti­cu­liers : « Je trou­vais cela bizarre que tout le monde puisse me voir, j’avais l’impression d’être au zoo. » Après une courte période d’adaptation, cette jeune néer­lan­daise s’est habi­tuée à étu­dier dans le Dôme. « Aujourd’­hui, je ne fais plus atten­tion. C’est même par­fois mieux d’être obser­vée, je me sens plus pro­duc­tive ! »

L’ancienne pri­son d’Arnhem, deve­nu un escape game et un lieu de récep­tion pour évè­ne­ments pri­vés. © Augus­tin Las­saus­sois / Kanaal

Pur pro­duit d’Haarlem, ancienne ville médié­vale tra­ver­sée par un court fleuve appe­lé le « Spaarne », Mike Rij­kers voyait, plus jeune, le Dôme d’un mau­vais œil : « J’appelais cette par­tie le mau­vais côté de la rivière. Mes parents mena­çaient de m’y emme­ner si je n’étais pas sage. » Lui comme ses amis avaient la volon­té d’améliorer l’image de ce quar­tier en le connec­tant avec le centre his­to­rique de la ville, plus riche. Pari réus­si. Désor­mais, « il faut être mil­lion­naire pour s’offrir une mai­son à côté ». Depuis son bureau dans l’open-space au der­nier étage du Dôme, Mike a vrai­ment fini à la pri­son d’Haarlem, mais pour la recons­truire, comme lui l’imaginait.  « L’histoire est belle » conclut-il, les yeux rivés vers le Dôme.

Figée dans le temps

Tous les péni­ten­ciers du royaume n’ont pas encore l’attrait de l’ancienne pri­son d’Harleem. C’est le cas de celle d’Arnhem, dans l’est des Pays-Bas, dont la réno­va­tion n’est pas fina­li­sée. L’édifice est bor­dé par des murs de plu­sieurs mètres de hau­teur, au bout des­quels des fils de bar­be­lés sont encore noués. Deux douves trônent à l’extérieur, comme si des gardes y tra­vaillaient tou­jours. Autour, pas un bruit, seuls les cor­beaux croassent. Fer­mée défi­ni­ti­ve­ment en 2016, la pri­son d’Arnhem, a, elle aus­si, ser­vi de centre d’accueil pour des réfu­giés syriens pen­dant deux ans. Des notices d’instruction écrites en arabe res­tent pla­car­dées sur les murs des cel­lules. À par­tir de 2018, plu­sieurs com­pa­gnies d’évènementiel s’y sont ins­tal­lées. La pre­mière pri­son à dôme du pays, construite en 1886, accueille encore de temps à autre des récep­tions.

Fin 2019, le groupe hôte­lier Q‑Hospitality a repris le bâti­ment. « À terme, notre but est d’en faire un hôtel. Mais cela néces­site beau­coup d’autorisations et de négo­cia­tions avec les par­ties pre­nantes du pro­jet », pré­cise Marit Eps­kamp, res­pon­sable com­mer­ciale de l’entreprise, en mon­tant l’escalier en pierre qui mène vers les cel­lules aux portes rouges. Pour le moment, l’ancienne pri­son fait office d’escape game, une « source de finan­ce­ment » du futur hôtel. Cer­taines cel­lules rem­plies de casiers fer­més, d’énigmes à résoudre et de puzzles à recons­ti­tuer sont amé­na­gées à cet effet. Les joueurs doivent ain­si s’entraider pour s’en échap­per. 

Une fois l’hôtel ache­vé, « le jeu ces­se­ra d’exister », détaille Marit dont les paroles résonnent dans l’en­semble du bâti­ment tant l’écho y est fort. D’ici là, les tra­vaux sont colos­saux. À l’intérieur, il fait moins d’une dizaine de degrés. Quelques fenêtres creu­sées dans le dôme laissent pas­ser les rayons du ciel opaque, seule source de lumière. À l’extrémité nord de l’ancienne pri­son, le poste de sur­veillance n’a pas bou­gé. Les vitres tein­tées sont orien­tées vers les 200 cel­lules qui entourent le bâti­ment. Elles aus­si sont res­tées figées dans le temps. Un lit, un miroir, un robi­net et une toi­lette comblent le vide. Marit le constate d’elle-même : « Peu importe ce que devien­dra cette pri­son, son esprit sera tou­jours vivant ». Dehors, les cor­beaux croassent encore. 

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