Utrecht et Amsterdam © Simon Bartkowiak / Kanaal

La galère des étudiants internationaux pour se loger

Se loger aux Pays-Bas est aujourd’hui un par­cours du com­bat­tant, en par­ti­cu­lier pour les étu­diants étran­gers, qui doivent trou­ver un loge­ment en étant encore, pour la plu­part, dans leur pays d’origine. S’il s’agit d’une source de stress consi­dé­rable, des orga­nismes tentent de leur venir en aide. 

« On en a pour 20 minutes. J’ai eu du mal à trou­ver un loge­ment, mais au moins, je ne suis pas trop loin de mon stage. » Après une intense jour­née, Maja, étu­diante polo­naise de 23 ans, monte dans le métro à Zuid, dans le sud d’Amsterdam, en direc­tion de son futur appar­te­ment, cinq arrêts plus loin. « Ça va me chan­ger la vie. Aujourd’hui, je mets presque 45 minutes pour venir », avoue la jeune femme, dans un bâille­ment. « La recherche d’appartement m’a épui­sée, c’était hyper dif­fi­cile », ajoute-t-elle. Maja a trou­vé son stu­dio après quatre semaines de recherches « achar­nées », à être « sur tous les sites, à répondre le plus vite pos­sible, à me réveiller par­fois dans la nuit pour regar­der les nou­velles annonces ». En ce moment, elle est malade : « je suis sûre que c’est le contre­coup du stress ».

« Le jour du départ appro­chait et je ne savais tou­jours pas où j’allais dor­mir ». Elle a donc cher­ché une solu­tion pro­vi­soire. Résul­tat : elle trouve sur Face­book l’annonce d’un bien en sous-loca­tion à 600 euros par mois. « Ce n’est pas l’idéal, mais je sous-loue depuis le 1er février, et je n’emménagerai que début avril, c’est dire à quel point le mar­ché est ten­du ». Son salaire y passe inté­gra­le­ment. Pour les achats qu’il reste, Maja compte sur ses éco­no­mies et ses parents, qui l’aident « un peu », confie-t-elle, en appuyant sur le bou­ton vert pour sor­tir du métro.

Le futur loyer de Maja s’élèvera à 800 euros. © Simon Bart­ko­wiak / Kanaal

« Voi­là, on y est ! ». Un aus­tère bâti­ment noir de qua­torze étages réser­vé aux étu­diants étran­gers. « Les Pays-Bas sont urba­ni­sés à 90 %, c’est énorme. À titre de com­pa­rai­son, en France, on est à 50 % », détaille Marc van der Lee, porte-parole de l’association des cour­tiers immo­bi­liers néer­lan­dais. « Auto­ma­ti­que­ment, on construit haut pour pal­lier le manque de place au sol », indique-t-il.

« Une pénurie de 400 à 450 000 logements »

Les Pays-Bas connaissent une crise du loge­ment sans pré­cé­dent, avec une « pénu­rie de 400 à 450 000 loge­ments » selon le spé­cia­liste. L’objectif du gou­ver­ne­ment de Mark Rutte est alors d’en construire 900 000 entre 2020 et 2030. « Sauf qu’au rythme où on va, on n’atteindra même pas la moi­tié », regrette Marc van der Lee. Et pour Geert Wil­ders — dont le par­ti d’extrême-droite PVV a rem­por­té les élec­tions légis­la­tives en novembre der­nier — les res­pon­sables sont… les étu­diants inter­na­tio­naux !

Avec une aug­men­ta­tion de 45 % en à peine dix ans du nombre d’étudiants étran­gers, les uni­ver­si­tés néer­lan­daises sont vic­times de leur suc­cès. Elles pro­posent la plu­part de leurs ensei­gne­ments en anglais. Alors pour Geert Wil­ders, la solu­tion est simple : les rem­pla­cer par d’autres déli­vrés en néer­lan­dais. « Il a trou­vé ses bouc-émis­saires », regrette le spé­cia­liste.

Estelle : « J’ai de la chance que l’entreprise de publi­ci­té de mon père fonc­tionne bien pour payer une par­tie de mes charges. » © Simon Bart­ko­wiak / Kanaal

Parce que les étu­diants étran­gers galèrent au moins autant que les Néer­lan­dais à louer un loge­ment. Estelle, 24 ans, a mis « deux mois ». Lorsqu’elle ouvre la porte de son appar­te­ment, à Amstel­veen (au sud-ouest d’Amsterdam) — car trou­ver dans la capi­tale était « impos­sible » — elle se presse de dépas­ser le salon. Sa « colo­ca­taire fran­co-amé­ri­caine tra­vaille et l’entente n’est pas vrai­ment cor­diale », chu­chote la Fran­çaise avant d’entrer dans sa chambre. Estelle a deux autres colo­ca­taires. « Avec Tho­mas, le Fran­çais, ça se passe nor­ma­le­ment. C’est com­pli­qué avec Daniel, Espa­gnol, il ne range rien ». L’ambiance est pesante, mais elle a « pris l’appartement [qu’elle] a pu ».

Les arnaques sont légion

Diplô­mée d’un mas­ter en mana­ge­ment inter­cul­tu­rel, Estelle a déjà beau­coup voya­gé. « J’ai vécu à Paris, à Londres et à Madrid, je pen­sais tout avoir vécu par rap­port à la recherche d’appartement, j’avais déjà eu un peu de mal. Mais ce n’était rien com­pa­ré à Amster­dam. C’était un emploi à plein temps, une charge men­tale indes­crip­tible », déplore-t-elle, comme si en en par­lant, l’angoisse émer­geait à nou­veau. « J’étais à pas grand chose de tout arrê­ter. »

Estelle : « L’appartement est très cher, tous les mois le pro­prié­taire reçoit 4 750 euros, mais au moins il est moderne. » © Simon Bart­ko­wiak / Kanaal

Il y a d’abord les arnaques. « Sur Face­book en par­ti­cu­lier, au moins une annonce sur deux est fausse », insiste Estelle, qui a appris à les dis­cer­ner. « Un stu­dio à moins de 1000 euros, ça n’existe pas. Ver­ser trois mois de cau­tion sans avoir vu l’appartement, ça met la puce à l’oreille. Des pho­tos trop pro­fes­sion­nelles, c’est sus­pect, liste la Lyon­naise. Il fal­lait être plus forts que ces impos­teurs pour démê­ler le vrai du faux ».

Et comme si cela ne suf­fi­sait pas : les démarches admi­nis­tra­tives sont par­fois ren­dues impos­sibles. Pour rece­voir son salaire, Estelle devait avoir une adresse fixe et s’enregistrer à la mai­rie. Mais pro­blème : « les pro­prié­taires déclarent par exemple deux chambres, puis ajoutent des cloi­sons pour fina­le­ment en louer quatre ». Côté admi­nis­tra­tif, ça ne cor­res­pond plus et donc, impos­sible d’enregistrer l’adresse. Et donc pour Estelle d’être payée. « Ça ajou­tait une énorme dif­fi­cul­té à ma recherche, déjà pas simple », affirme la Lyon­naise.

« J’ai accepté parce que j’étais en galère »

Mais après presque deux mois de recherches, une annonce sur Face­book l’interpelle. « Un Fran­çais cher­chait trois colocs. Quatre chambres au total, dont la mienne, 10 m2, 1 150 euros », se sou­vient-elle. Sauf qu’Estelle a un bud­get de 1 000 euros. « J’ai accep­té parce que j’étais en galère », admet-elle d’une voix ferme. Pour sub­ve­nir à ses besoins, en plus de ses 500 euros de reve­nus men­suels et de l’aide de ses parents, l’expat’ fai­sait un « petit bou­lot sup­plé­men­taire » à rai­son d’une qua­ran­taine d’heures par mois.

Alors face à tous ces pro­blèmes, l’entreprise Hos­pi Hou­sing appa­raît comme la solu­tion miracle. Rita, étu­diante por­tu­gaise, et Hen­ny, 84 ans, vivent ensemble, à Utrecht — à 45 kilo­mètres au sud d’Amsterdam — depuis un peu plus d’un an. C’est à l’université d’Utrecht, où elle étu­die les langues, qu’elle entend par­ler de Hos­pi Hou­sing. « Des affiches étaient sur les murs, j’ai fait des recherches pour en savoir plus et l’idée m’a tout de suite plu », cer­ti­fie la Por­tu­gaise de 20 ans, en allant cher­cher Poo­kie, le chien de Hen­ny, caché dans la cui­sine.

Hen­ny est pro­prié­taire du numé­ro 20 depuis 1985. © Simon Bart­ko­wiak / Kanaal

Le concept est simple : mettre en rela­tion des pro­prié­taires qui ont une chambre dis­po­nible avec des étu­diants étran­gers qui cherchent à se loger. Le pro­jet, qui voit le jour en 2018, plaît d’emblée à Hen­ny, qui accueille des jeunes dans sa chambre d’amis de 9 m2 depuis le début des années 1990. « Je n’arrive pas à com­prendre qu’il y ait une crise du loge­ment alors que tant de chambres sont vacantes, sou­tient-elle, excé­dée. La pro­tec­tion de l’environnement et la dura­bi­li­té, c’est pri­mor­dial pour moi. C’est mieux d’occuper toutes les pièces des mai­sons plu­tôt que construire ». Et pas d’angoisse pour le loca­taire de tom­ber sur une arnaque : « Hos­pi véri­fie les pro­fils et les mai­sons de tous les pro­prié­taires ».

Rita est la quin­zième étu­diante qu’accueille Hen­ny. © Simon Bart­ko­wiak / Kanaal

Alors quand Rita réa­lise que Hen­ny demande 275 euros pour vivre chez elle, son espoir est décu­plé. Mais même avec cet embal­le­ment, pas d’exception : elle doit envoyer une lettre de moti­va­tion à la pro­prié­taire. « Elle était vrai­ment longue, se sou­vient Rita, gênée, en riant et en écar­tant les mains pour en mon­trer la taille. Mais c’était stres­sant, j’avais vrai­ment envie de trou­ver », cer­ti­fie-t-elle. Les deux femmes se ren­contrent, Rita règle les 295 euros de com­mis­sion requis par l’entreprise et s’installe en décembre 2022.

Mais vivre chez sa pro­prié­taire a quelques incon­vé­nients. « En théo­rie, quand on vit en colo­ca­tion, on peut déci­der, tous les avis ont la même valeur. Mais dans mon cas, Hen­ny décide seule. Ça se com­prend, je suis chez elle. Elle n’a pas à s’adapter à moi autant que j’ai à le faire ».

Quant à son ave­nir à Utrecht, Rita se montre confiante. « Res­ter ici le temps de m’installer aux Pays-Bas, ça dépend du bon vou­loir de Hen­ny, plai­sante-t-elle. Mais j’y suis bien, je suis contente d’avoir eu cette oppor­tu­ni­té après le stress géné­ré ».

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