Rotterdam © Héloïse Pongnan / Kanaal

Les chambres d’abandon de bébé se multiplient

Fin jan­vier, les hôpi­taux uni­ver­si­taires d’Am­ster­dam et de Rot­ter­dam ont ouvert deux espaces sécu­ri­sés où les mères en dif­fi­cul­té peuvent trou­ver refuge et dépo­ser leur nou­veau-né dans un ber­ceau.

L’as­so­cia­tion Bes­chermde Wieg aime­rait voir l’ou­ver­ture de ces chambres dans tous les hôpi­taux des Pays-Bas. © Héloïse Pon­gnan / Kanaal

Un bam­bin chan­ce­lant mais déter­mi­né achève sa course dans les bras d’une sta­tue de Win­nie l’Ourson qui mesure le double de sa taille. Juste à côté, l’arbre à bal­lons indique l’entrée du ser­vice pédia­trique de l’hôpital Eras­mus MC de Rot­ter­dam. À l’intérieur de l’édifice une petite ville s’organise. Tout est flé­ché. Patients, accom­pa­gna­teurs et per­son­nel hos­pi­ta­lier se croisent à la phar­ma­cie, au res­tau­rant, au café, à l’épicerie. Les déam­bu­la­tions se font au rythme des ren­dez-vous.

C’est ici qu’une nou­velle chambre à ber­ceau pro­té­gé vient d’être créée. Un espace où les mamans en situa­tion de grande détresse ont la pos­si­bi­li­té d’abandonner leur bébé en toute sécu­ri­té et de manière ano­nyme ou non. Au bout d’un long cou­loir, une repré­sen­tante de la com­mu­ni­ca­tion de l’hôpital bran­dit une carte magné­tique pour ouvrir la chambre, « seul le per­son­nel médi­cal peut habi­tuel­le­ment ouvrir la porte », pré­cise-t-elle. Pour les mamans, le par­cours est bien dif­fé­rent. Loin des lan­daus, des salles d’attente et des bal­lons. Pas besoin de scan­ner ses papiers d’identité à la borne du grand hall. L’entrée se fait en dehors des murs du ser­vice. Il suf­fit de suivre, depuis le par­king, le logo de la fon­da­tion néer­lan­daise Bes­chermde Wieg, une mai­son verte avec un cœur. Arri­vé sur le toit ter­rasse, à hau­teur du par­king, une porte déro­bée mène à cette chambre. « C’est ouvert 24h/24 », énonce Kit­ty Nus­te­ling, 57 ans, l’une des direc­trices de l’association qui a per­mis son ouver­ture.

Quelques mètres car­rés, une douce atmo­sphère, des lapins et l’Euromast, l’emblème de la ville des­si­né au-des­sus du ber­ceau. Le lit est bor­dé au mil­li­mètre. Une éta­gère regroupe le strict mini­mum : couches et vête­ments. Un car­net est pla­cé en évi­dence sur un tabou­ret en bois. « C’est un livre dans lequel la maman peut écrire ses infor­ma­tions per­son­nelles comme son nom, sa date de nais­sance, son numé­ro de télé­phone… », explique Kit­ty en par­cou­rant les ins­crip­tions d’introduction avec le sty­lo. Une fois dans la chambre, la mère a deux options : elle peut contac­ter une infir­mière en appuyant sur le bou­ton de l’interphone ou quit­ter immé­dia­te­ment la pièce en lais­sant son enfant dans le ber­ceau. Lorsque la mère s’en va, la porte se ver­rouille auto­ma­ti­que­ment et une infir­mière vient s’occuper du bébé. « Les rai­sons de l’abandon sont mul­ti­fac­to­rielles mais ça peut être à cause de la reli­gion, parce qu’elles ont été vio­lées, subis de l’inceste, quand c’est une ques­tion de pau­vre­té on essaye tou­jours d’aider autre­ment ».

Encom­bré de ver­dure, l’espace détente de l’aile ouest accueille les confi­dences des pas­sants qui s’y accordent une pause. Kit­ty sou­pire devant son café : « J’ai tel­le­ment d’histoires dif­fi­ciles à racon­ter… ». Elle s’arrête un ins­tant avant de reprendre : « Un jour une mère m’a appe­lé en me disant « je crois que je suis enceinte ». Je lui ai deman­dé si elle pou­vait se rendre dans l’hôpital le plus proche de son vil­lage à 20km. Elle m’a répon­du que c’était impos­sible pour elle de par­tir car c’est un petit vil­lage chré­tien ortho­doxe. Ce n’était pas per­mis d’avoir une sexua­li­té avant d’être marié, de prendre la pilule contra­cep­tive etc. J’ai donc été la cher­cher. Et quand je l’ai aper­çu à l’intersection d’une rue, j’ai vu son ventre… »

Kit­ty écar­quille les yeux et mime un ventre de femme enceinte avant de pour­suivre : « nous sommes allées à l’hô­pi­tal et le doc­teur a annon­cé qu’elle était à 37 semaines et enceinte de jumeaux. Sa sœur était méde­cin, mais elle n’a rien dit parce que quand tu aides quelqu’un avec quelque chose qui n’est pas auto­ri­sé tu deviens tout aus­si cou­pable. Elle est reve­nue dans le vil­lage sans enfants, sans ventre. Per­sonne ne lui a posé de ques­tion. Deux semaines plus tard, elle était à un anni­ver­saire entou­rée de ses proches et elle m’a appe­lée pour les récu­pé­rer ».

Ce « ber­ceau pro­té­gé » n’est pas le pre­mier. La fon­da­tion, finan­cée par des dons, en a ouvert qua­torze dans le pays depuis 2014. L’hôpital Amster­dam UMC a lui aus­si ouvert un espace en jan­vier 2024. Pour­tant, le nombre de bébés aban­don­nés aux Pays-Bas n’est pas éle­vé « Quand nous n’existions pas encore il y avait 4–6 bébés trou­vés chaque année, ce n’est pas énorme mais nous sommes un petit pays et la plu­part de ces bébés étaient retrou­vés morts. », explique indi­gnée Kit­ty. La mère de cinq enfants ne sup­por­tait pas d’entendre dans les médias ces his­toires, « Ils étaient retrou­vés dans une pou­belle, un jar­din, près d’un lac, sur la plage… », énu­mère tris­te­ment Kit­ty, avant d’ajouter : « On a pen­sé pour­quoi font-elles cela ? Parce qu’il n’y a pas d’endroit sécu­ri­sé où aller ». En mars 2023, le corps d’un bébé a été retrou­vé dans un sac en plas­tique sur une île du Lek, près du vil­lage de Lek­ker­kerk. Tou­chée par cette décou­verte, la maire par inté­rim Pau­line Bou­vy-Koene avait don­né un pré­nom à l’enfant avant l’organisation de ses obsèques. D’après la presse locale, la police pro­met­tait en décembre 10 000 euros pour toute per­sonne qui appor­te­rait des infor­ma­tions sur l’identité des parents.

« Illégal mais toléré »

Aux Pays-Bas, l’a­ban­don d’un bébé est un délit pénal. D’abord selon l’article 256 du Code pénal « Qui­conque aban­donne un enfant de moins de sept ans ou, dans l’in­ten­tion de s’en débar­ras­ser, l’a­ban­donne, est puni d’une peine d’emprisonnement n’ex­cé­dant pas quatre ans et six mois ou d’une amende de qua­trième caté­go­rie ». Devant le ber­ceau, Kit­ty l’assume : « C’est illé­gal mais tolé­ré ». Après quelques années, le Minis­tère de la pro­tec­tion des droits a assu­ré que lorsqu’une mère aban­don­ne­ra son enfant dans l’une de ces chambres alors elle ne sera pas pour­sui­vie. 

Les pre­mières chambres ont été créées dans des habi­ta­tions pri­vées. C’est l’appel d’un gyné­co­logue à la fon­da­tion qui a chan­gé la donne. Après un pas­sage TV de la fon­da­tion pour expli­quer le pro­jet, il leur a dit : « Pour­quoi vous ne faites pas cela à l’hô­pi­tal ? » L’idée est née, elle a ger­mé et l’équipe s’est bat­tue pour qu’elle prenne vie en par­te­na­riat avec des hôpi­taux. « Avoir un espace comme celui-ci dans un hôpi­tal est impor­tant car cela montre que nous recon­nais­sons l’exis­tence d’un groupe de femmes enceintes si vul­né­rables qu’elles ont peur de cher­cher de l’aide par les voies habi­tuelles. Et bien sûr, pour évi­ter qu’elles ne laissent leur bébé dans un endroit dan­ge­reux », a témoi­gné une infir­mière béné­vole de la fon­da­tion.

Un dernier recours

L’autre frein à l’ouverture de ces chambres est celui de l’anonymat. Il est inter­dit d’enlever à l’enfant la connais­sance de ses parents hors même si tout est fait pour que la mère puisse lais­ser ses infor­ma­tions rien ne l’y oblige. « Nous pré­fé­rons que le nom de la mère soit connu pour que l’enfant, une fois grand, puisse la recher­cher. C’est le droit de savoir de qui vous des­cen­dez. Quand vous êtes plus vieux et que vous avez des ques­tions sur Qui suis-je ? Qui sont mes parents ? », explique Wen­dy Kers­ten. Elle tra­vaille pour l’organisation Fiom, un centre de connais­sances des Pays-Bas qui garan­tit le droit de savoir de qui l’on des­cend et le droit de choi­sir libre­ment en cas de gros­sesse non dési­rée. Dans ce cas, quatre solu­tions peuvent être envi­sa­gées : éle­ver son enfant par ses propres moyens, avor­ter, le sou­mettre à l’adoption tem­po­raire ou plé­nière.

Kit­ty Nus­te­ling et Wen­dy Kers­ten se rejoignent, le ber­ceau pro­té­gé ne doit être qu’un moyen de der­nier recours. En 2023, la fon­da­tion assure avoir accom­pa­gné 17 femmes qui ont sou­hai­té aban­don­ner un enfant. 66 % d’entre elles sont fina­le­ment reve­nues sur leur déci­sion dans les trois mois, le délai légal avant de sou­mettre l’enfant à une pro­cé­dure d’adoption.

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