Première pédagogie alternative du pays, la méthode Dalton prône l’autonomie et la liberté des élèves. Une vision de l’école qui colle avec le système éducatif progressiste des Néerlandais.
Grande dame souriante aux joues rosées, Kirsten traverse le hall lumineux et animé du Spinoza 20 first Lyceum où l’on zigzague entre des arbres d’intérieur pour rejoindre la salle des profs. Elle n’a pas le temps d’ouvrir la porte, qu’une petite blonde aux grands yeux bleus s’accroche à son dos et l’étreint affectueusement. « Alors ça c’est une de mes bonnes élèves, s’exclame l’enseignante en serrant à son tour l’écolière dans ses bras. Tiens justement tu n’as pas envie de montrer comme tu parles bien français ! ». À ces mots, l’ingénue prend la fuite à grandes enjambées dans les couloirs.
Au Pays-Bas, 70% des élèves sont en écoles privées subventionnées. Chaque établissement peut choisir sa propre méthode d’enseignement. Ici, la laïcité n’est pas imposée et les écoles sont financées entièrement par l’État. Cela a encouragé l’émergence d’établissements à pédagogies particulières comme le Spinoza lyceum et son petit frère le Spinoza 20 first Lyceum, deux ensembles collège-lycée d’Amsterdam qui suivent le plan Dalton. Avec plus de 400 établissements, écoles primaire et secondaire réunies, les écoles Dalton sont de loin les plus répandues dans le pays. C’est une méthode éducative marginale née il y a un siècle aux États-Unis et adoptée massivement par les Néerlandais depuis les années 1980. Sa créatrice, Helen Parkhurst défendait l’école comme « un laboratoire social » où les élèves pourraient expérimenter avec l’assistance des professeurs, mais non sous leur contrainte. « Ici, les enseignants sont attentifs à chaque élève, à ce qu’ils développent leurs capacités selon les valeurs de Dalton », explique Kirsten qui enseigne le français dans l’école depuis 6 ans. Ce pari, c’est celui d’un enseignement plus individualisé, qui repose sur l’autonomie et la responsabilité de chaque élève. Une certaine vision de l’enseignement qui a profité de la souplesse du système éducatif néerlandais pour se fondre dans le paysage.
Apprendre à son rythme
« Il vaut mieux enseigner les vertus que condamner les vices », prônait le philosophe Baruch Spinoza, grand théoricien de la liberté qui a donné son nom aux deux lycées. « Les écoles Dalton connaissent un succès encore plus fulgurant depuis une dizaine d’années », explique Jate, professeure de français au Spinoza Lyceum depuis 25 ans. Dans son lycée, elle décrit un contrat de confiance passé avec les élèves, « une sorte de liberté sous surveillance ».
Au début du cours, Jate propose deux options à sa classe : apprendre en silence une liste de mots ou s’entraîner à lire un texte en français. Les élèves se lèvent alors spontanément de leur place pour former deux groupes distincts, qui correspondent aux deux exercices proposés. Jate fait des allers-retours dans la classe pour accompagner les élèves dans leurs tâches. « En tant que professeur, on a la responsabilité de mettre les élèves au niveau et de les stimuler, le reste, c’est eux qui le font. »
Pour Maxim, étudiant en dernière année au Spinoza 20 first Lyceum, cette école était le seul établissement de la ville où il envisageait de continuer ses études. « En primaire, je me suis senti incompris par les professeurs. J’allais à mon rythme, c’est-à-dire lentement sur certains sujets et plus vite sur d’autres, mais ça ne leur convenait pas », raconte le jeune homme dans un français parfait. Réservé derrière sa tignasse noire et ses lunettes rectangulaires, Maxim est un passionné de langue : à 17 ans, il en parle neuf. Au lycée, il a pu apprendre le français et l’espagnol dans des cours où il avait un à deux ans d’avance. « Le plus difficile pour moi, ce sont les travaux de groupe », reconnaît le jeune surdoué. Dans les écoles Dalton, ces exercices en coopération sont omniprésents sous forme de projets. « C’est sûr que ce n’est pas ce que je préfère, mais au moins, j’apprends à travailler avec tout le monde » se résout-il.
« En tant que professeur, on a la responsabilité de mettre les élèves au niveau et de les stimuler, le reste, c’est eux qui le font. »
Jate Terpstra, professeure au Spinoza Lyceum.
Pendant les heures Dalton, une à deux heures par jour, les élèves ont le choix : s’inscrire au cours de leur souhait, travailler leurs devoirs en autonomie ou avancer leurs projets de groupe. Omar, en dernière année, est plus critique de ce système. Son casque de scooter sous le bras, il relativise la liberté donnée aux élèves : « Les profs nous disent de faire des choses, mais ils ne contrôlent pas ce que l’on fait vraiment. » Pour cette tête brûlée, la méthode est contre-productive. « Moi, si on ne me force pas à faire mes devoirs, je préfère ne pas les faire et passer plus de temps avec mes copains dehors » finit-il par admettre.
Une liberté sous surveillance
« Pendant les heures Dalton, tout tourne autour de vous, de votre responsabilité dans votre développement » affirme Marja Out, spécialiste du plan Dalton au sein du Spinoza lyceum. Elle voit chaque projet mené par les élèves durant leurs heures Dalton comme une manière de leur donner du pouvoir et du choix sur leur propre éducation. « Il est essentiel que l’enfant se sente à l’école comme chez lui, décrit-elle. Qu’il se sente à l’aise pour se concentrer sur les choses qui l’intéressent le plus ». Dans son bureau, l’ancienne professeur de néerlandais, totalement acquise à la pédagogie Dalton, passe en revue avec fierté les tableaux et autres planificateur Excel mis en place pour suivre la progression des élèves grâce à leurs auto-évaluations. Comme pour une école traditionnelle, l’objectif final de l’enseignement reste la réussite à l’examen. Si un élève est très en retard sur un devoir ou s’il a de mauvais résultats dans une matière, l’école peut lui imposer des cours de soutien sur ses heures Dalton. « On leur dit : si tu ne peux pas faire le choix, on le fait pour toi », conclut-elle.
Ce message, la studieuse Léa l’a bien compris. Cette étudiante discrète de 17 ans a dû refaire son année à cause de résultats insuffisants aux examens. « Au début, j’ai eu du mal avec cette méthode » résume-t-elle avant de préciser : « Le problème avec les heures Dalton c’est que si on papote, elles ne servent à rien ! » Mais maintenant Léa assure s’être mise au pas. Sur son smartphone, elle montre l’application créée par l’école, qui lui permet de planifier ses heures Dalton en fonction de ses besoins et des prochains examens.
Source d’inspiration pour l’école publique
Finalement, pour cette pédagogie comme pour celles plus traditionnelles, on trouve des avis divergents. À 17 ans également, Jona est plus que lassé des heures Dalton. Le jeune homme désinvolte reconnaît ne pas aimer l’école où il considère que la liberté n’est que théorique. « La vraie liberté ça devrait être de pouvoir sortir, or là, on est obligé de rester à l’école et travailler durant les heures Dalton », grogne t‑il. À demi-mot, il reconnaît pourtant avoir apprécié ces heures lorsque, durant quatre ans, elles lui ont permis de participer à l’atelier de création d’aquarium. Nourrir et regarder des poissons une heure par semaine si on le souhaite, c’est aussi ça la pédagogie Dalton.
Le chercheur en pédagogie alternative, Patrick Sins, a réalisé des études comparatives entre les écoles traditionnelles néerlandaises et les écoles Dalton sans trouver de différences saisissantes. « Sur le plan des résultats, c’est très difficile de noter des disparités entre ces deux modèles d’écoles », soutient-il. Depuis, les années 1950, le ministère de l’éducation néerlandais promeut plus d’individualisation dans l’instruction et libère des budgets afin de ne pas avoir plus de 20 élèves par classe. « Comme les écoles publiques sont très autonomes, observe Patrick Sins, beaucoup d’entre elles ont choisi d’adapter leurs enseignements en s’inspirant de la méthode Dalton sans forcément obtenir le label. » Toutefois, l’universitaire reconnaît une qualité aux écoles Dalton : « Lorsque vous avez un concept, vous réfléchissez sur votre propre système et comment l’améliorer, alors que les écoles traditionnelles font juste ce qu’on leur demande de faire. »