Monnickendam © Manon Hilaire / Kanaal 
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Thérapie de conversion : le chemin de croix des homosexuels 

Pre­mier pays au monde à avoir léga­li­sé le mariage homo­sexuel en 2001, les Pays-Bas ne font plus aujourd’hui figure de modèle en la matière. Vio­lences, dis­cri­mi­na­tions et thé­ra­pie de conver­sion encore en vigueur, le pays est loin de l’image exem­plaire qu’il a long­temps ren­voyée. 

La bonne humeur se pro­page à l’Opstandingskerk, église pro­tes­tante de Mon­ni­cken­dam, mal­gré le pas­sé dou­lou­reux du pas­teur. © Manon Hilaire / Kanaal 

« On nous répète tout le temps que c’est Adam et Ève et pas Adam et Steve », plai­sante Alexan­der Noor­dijk, assis confor­ta­ble­ment sur le cana­pé vert sapin de son bureau. Le pas­teur de l’Église pro­tes­tante de Mon­ni­cken­dam, à 15 kilo­mètres au nord d’Am­ster­dam, glisse une cap­sule dans la machine à café. Son allure stricte, che­mise noire ser­rée, ren­trée dans son cos­tume gris sombre, contraste avec son ton léger et humo­ris­tique. Quelques minutes plus tôt, la soixan­taine de per­sonnes pré­sentes pour la messe domi­ni­cale s’esclaffait au gré des blagues du révé­rend, en poste depuis deux ans et demi dans cette petite ville côtière de 9 000 habi­tants. À son arri­vée, une cin­quan­taine de membres de la com­mu­nau­té ont quit­té l’Église, ne sup­por­tant pas l’idée d’avoir un pas­teur gay, marié à un autre homme. En un haus­se­ment d’épaules, l’homme de 51 ans, élude ce sou­ve­nir. « Un presque rien » dit-il, com­pa­ré aux trois thé­ra­pies de conver­sion qu’il a subies. 

Ancien pionnier LGBTQ+

Depuis les années 80, les Pays-Bas se sont éri­gés comme modèles en termes de droits LGBTQ+. « La crise du SIDA a aidé Amster­dam à deve­nir une capi­tale gay, car contrai­re­ment à d’autres villes, le gou­ver­ne­ment n’a pas déci­dé de stig­ma­ti­ser et confi­ner les per­sonnes malades », explique Henk de Vries, guide tou­ris­tique des endroits emblé­ma­tiques queers de la capi­tale. L’hôtel de ville est un pas­sage obli­gé. Le 1er avril 2001, les cloches ont son­né toute la jour­née pour célé­brer l’union civile de quatre couples homo­sexuels. C’était la pre­mière fois au monde. À ce jour, plus de 20 000 per­sonnes de même sexe se sont mariés dans le pays. Depuis cet élan, les Pays-Bas sombrent dans une grande léthar­gie. En 2023, au clas­se­ment Rain­bow Europe, le pays occu­pait la 14ème place sur 49. Les dis­cri­mi­na­tions basées sur l’orientation sexuelle sont encore fortes. « On ne se tenait pas la main quand on habi­tait à Amster­dam sinon on se fai­sait insul­ter de « gay » ou « pédé » », souffle Kai Yung en regar­dant avec las­si­tude Alexan­der, son mari.

« C’est du viol mental »

Mariés depuis 15 ans, Kai Yung et Alexan­der Noor­dijk se sou­tiennent dans la recons­truc­tion après les thé­ra­pies de conver­sion. © Manon Hilaire / Kanaal 

Dans les dif­fé­rentes com­mu­nau­tés reli­gieuses, le sujet gêne. Le regard fuyant, Her­man van Wijn­gaar­den, de l’association Hart von Homo’s bafouille et finit par lâcher : « Il n’y a pas de mal à être gay, mais tu dois res­ter céli­ba­taire ». L’homme de 61 ans, homo­sexuel lui-même n’est pas vrai­ment favo­rable à l’interdiction des thé­ra­pies de conver­sion. Le cofon­da­teur de l’organisation, che­mise à car­reaux verts, ser­rée au col, craint que le gou­ver­ne­ment ne pros­crive son orga­ni­sa­tion dans la fou­lée pour son côté conser­va­teur. Une parole écou­tée et par­ta­gée puisque de nom­breuses écoles catho­liques fac­turent ses ses­sions d’éducation sexuelle reli­gieuse à plus de 200 euros. Il recon­naît néan­moins « l’inutilité et la vio­lence » des thé­ra­pies de conver­sions. « Les gens parlent beau­coup mais ne réa­lisent jamais vrai­ment le trau­ma­tisme que ça cause », déplore Kai Yung, les yeux humides. « Même le gou­ver­ne­ment n’en avait aucune idée », souffle le mari du pas­teur, qui a lui aus­si subi, pen­dant dix ans, une thé­ra­pie. Il y a quelques années, le gou­ver­ne­ment a reçu d’anciennes vic­times, dont Kai, pour com­prendre ce qu’ils avaient vécu en vue d’écrire un texte de loi pour ban­nir les thé­ra­pies de conver­sion. Le pro­jet de loi a été dépo­sé à la Chambre des repré­sen­tants en 2022 mais a été reto­qué par le conseil d’État, qui l’a qua­li­fié de liber­ti­cide contre les poten­tielles per­sonnes sou­hai­tant s’y rendre volon­tai­re­ment. Une nou­velle loi a donc été pro­po­sée en octobre 2023 mais depuis, le pro­ces­sus légis­la­tif patine.

« C’était une question de survie »

Le choix volon­taire, Kai n’y croit pas. Le jeune d’origine hong­kon­gaise vient à peine de souf­fler ses 18 bou­gies lorsque l’Église évan­gé­lique chi­noise qu’il a rejointe depuis son arri­vée au Pays-Bas à ses 9 ans, le force à consul­ter une psy­cho­logue affi­liée à la com­mu­nau­té. « À ce moment-là, tout le monde, y com­pris moi, croyait à cette théo­rie de mala­die et que je devais être gué­ri », lâche-t-il en ajou­tant : « La psy­cho­logue en qui j’avais confiance, me disait que c’était une mala­die et que je devais la gué­rir ». Alexan­der hoche la tête en silence. Lui-aus­si a été conduit chez un psy­cho­logue. Il lui pro­pose une prise de séro­to­nine, un neu­ro­trans­met­teur du sys­tème ner­veux, impli­qué notam­ment dans l’humeur, le com­por­te­ment ou encore l’anxiété. « J’ai eu peur de me perdre moi-même encore plus, hors de ques­tion que je prenne des médi­ca­ments comme si c’était une mala­die », tem­pête Alexan­der, for­cé d’abandonner ses études de théo­lo­gie car il refuse le trai­te­ment. Du côté de Kai, il sombre dans une grave dépres­sion, han­té par des idées sui­ci­daires. Sa psy­cho­logue lui avoue alors : « En tant que chré­tienne, je ne com­prends pas mais en tant que psy­cho­logue, je dois te conseiller de quit­ter l’Église et accep­ter ton homo­sexua­li­té. » Kai admet hum­ble­ment : « C’était une ques­tion de sur­vie pour moi, cette psy m’a sau­vé la vie. »

« Briser les gens, c’est contraire à la loi »

L’hypocrisie des Pays-Bas se retrouve dans leur sys­tème à deux vitesses où les vic­times ont peu de chance de se défendre. Bien que les thé­ra­pies de conver­sion soient encore légales, « bri­ser des gens, les for­cer à chan­ger d’identité ou les pri­ver de nour­ri­ture, c’est contraire à la loi ! » s’exclame Mariët Baaij, avo­cate spé­cia­liste en droit ecclé­sias­tique. Mais en deux ans de conseils juri­diques aux mil­liers de vic­times d’événements trau­ma­tiques reli­gieux, elle n’a pas fou­lé une seule fois les portes de la Cour cri­mi­nelle. L’influence de la com­mu­nau­té reli­gieuse ou de leur famille est trop forte pour oser les dénon­cer. Sur le mil­lier de clients de 18 à 88 ans que l’ancienne avo­cate pour deman­deurs d’asile a reçu à ce jour, une cen­taine de per­sonnes avaient subi des thé­ra­pies de conver­sion.

Par­tout en Europe, la cri­mi­na­li­sa­tion des thé­ra­pies de conver­sion est un sujet com­pli­qué. Seuls sept pays l’interdisent com­plè­te­ment. La France a pour sa part légi­fé­ré tar­di­ve­ment, en 2022, et le contrôle de leur réelle inter­dic­tion reste com­pli­qué.

En atten­dant que la loi soit votée, Alexan­der Noor­dijk doit sa gué­ri­son à ses fidèles. Très appré­cié dans la com­mu­nau­té, notam­ment au moment du tra­di­tion­nel café après la messe où ils se pressent tous pour lui par­ler, il se recons­truit après des années de rejet. Une situa­tion impen­sable pour lui quelques années aupa­ra­vant. « Après ma thé­ra­pie de conver­sion, je détes­tais l’Église » sou­pire-t-il.

Kai se met à rire et ren­ché­rit « jamais je ne pen­sais retour­ner à l’Église ! », dit-il en regar­dant amou­reu­se­ment son mari qui, après ses thé­ra­pies de conver­sion, s’est envo­lé vers d’autres cieux pour deve­nir ste­ward auprès d’Air-France KLM.

« Envie de vomir »

La bonne humeur et la musique des cho­ristes assis en rang d’oignons lors de la messe, effacent le sou­ve­nir de ces années de prières qui ont don­né à Mariët Baaij « l’envie de vomir tel­le­ment c’était hor­rible pour eux ». Elle connaît tous les lieux qui pra­tiquent des thé­ra­pies de conver­sion à tra­vers le pays. Pour cette der­nière, les ban­nir com­plè­te­ment ris­que­rait de les rendre « encore plus dan­ge­reuses car plus cachées », ana­lyse l’experte de 56 ans. L’arrêt com­plet des thé­ra­pies de conver­sion est donc loin d’être acquis pour le pre­mier pays à avoir auto­ri­sé le mariage gay. La vic­toire de Geerts Wil­ders aux élec­tions légis­la­tives de novembre der­nier ne pré­sage pas d’une amé­lio­ra­tion alors que son par­ti d’extrême-droite s’insurge devant l’idée que les enfants puissent être endoc­tri­nés par la « folie du genre ».