Aux Pays-Bas, le Parti politique réformé sert de porte-voix au conservatisme des ultra-protestants. De l’opposition radicale à l’avortement au soutien indéfectible à Israël, ils s’éloignent de l’image progressiste souvent rattachée aux Néerlandais. Reportage à Urk, fief de ces stricts religieux.
Les allées d’éoliennes au garde-à-vous détonnent face au vieux port, dans cette ville où la modernité pénètre difficilement. Malgré l’immense terre-plein ayant incorporé cette ancienne île au continent depuis des décennies, les panneaux à l’entrée annoncent toujours l’arrivée « sur Urk » – et non « à Urk ». Un dimanche dans la ville signifie systématiquement magasins fermés, habitants cloîtrés et rues désertes, sauf à 10 heures et à 17 heures, quand sortent des fidèles, dont parfois des femmes tête couverte et jupe longue, et que les bancs de la vingtaine de temple de la ville se remplissent. Une vie pieuse et conservatrice qui détonne dans des Pays-Bas éloignés de la religion et devenus le premier pays au monde à dépénaliser l’euthanasie ou reconnaître le mariage homosexuel.
Ici, le porte-voix de l’ultra-conservatisme s’appelle le Parti politique réformé (SGP). Il domine largement les votes à Urk, où il a remporté 48% des voix aux élections législatives de novembre dernier alors qu’au niveau national, il peinait à dépasser les 2%. Et ce n’est pas la première fois. Le SGP a réalisé des scores équivalents dans la ville en 2021 (56%) et en 2017 (54%). C’est le programme politique de ce parti, basé sur une lecture rigoriste de la Bible, qui séduit les ultra-protestants de la commune – surnommée « ville de Dieu ». Le SGP est par exemple favorable à la peine de mort, à un non-remboursement de la contraception et anti-européen. Il est aussi climatosceptique et opposé à l’avortement « même en cas de viol, tant que la vie de la mère n’est pas en danger » selon les mots de Sjaak Simonse, élu SGP dans le Flevoland, la région d’Urk.
Actuellement, le SGP se prépare aux élections européennes prévues en juin prochain. À Strasbourg, il siège déjà avec le parti de l’Italienne Georgia Meloni et sera accompagné de celui d’Éric Zemmour – si ce dernier obtient assez de voix. En dévoilant sa liste de candidats, le SGP a crée la polémique : elle est uniquement composée d’hommes. Rien de surprenant de la part d’un parti historiquement très masculin : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a même dû les obliger à présenter des femmes aux élections, en 2012. « Certains dans le parti ne conçoivent toujours pas qu’elles puissent être aussi les ‘boss’ » avance Lilian Janse, la première élue féminine SGP de l’histoire, à Vlissingen.
Le SGP « nous représente bien »
À Urk, la popularité du SGP s’observe à chaque coin de rue, comme ce mardi de février au café associatif de l’Armée du Salut. Un peu avant midi, Evert et Neel Kramer en ouvrent les portes. Lui, ouvrier à l’usine de poissons, assume sans détour de voter pour le parti ultra-conservateur. Elle, employée ici, décrit l’endroit comme « chrétien » c’est-à-dire « ouvert à tous, pour déjeuner ou prendre un café ensemble, avec une attention particulière aux personnes divorcées ou malheureuses par exemple ». Les bénévoles s’affairent déjà : l’une cuisine, une deuxième aide à servir et un dernier lance une prière à la fin du repas. Et Neel Kramer s’occupe d’offrir une Bible aux derniers venus. Aujourd’hui, le débat politique tient l’entièreté du repas. Les gens de passage échangent sans pause sur l’actualité. Enfin, seulement les hommes. « Le SGP fait du bon boulot à la mairie, il nous représente bien » énonce l’un d’eux.
« Il faut être tolérant avec les migrants… mais pas trop »
Un habitué de l’Armée du Salut
Les positions de chacun fusent. Sujet central : l’immigration. « Il faut être tolérant avec les migrants… mais pas trop » avance l’un des convives, avant d’ajouter « ils sont utiles au travail, on a besoin de bras nous, y’a du boulot ici, mais ils doivent respecter les valeurs et les traditions néerlandaises ». Entre deux bouchées de tikka masala, un troisième rouspète : « Aux Pays-Bas, on n’est pas patriotes, on n’est pas fier de notre culture… On laisse faire ! ».
En sortant de l’Armée du Salut, la position pro-israélienne des habitants saute aux yeux. C’est aussi l’un des axes de communication du SGP en ce moment. Visiter Urk, c’est donc s’attarder à compter le nombre de drapeaux avec une étoile de David sur les devantures des maisons ou, parfois, accrochés au mât des bateaux et en petites guirlandes pour unir deux façades. Des signes de ralliement hissés immédiatement après les attaques meurtrières du Hamas le 7 octobre. Les habitants persistent aujourd’hui à les afficher malgré des troubles – une personne était venue à Urk pour brûler une dizaines de ces drapeaux à la mi-octobre. Sjaak Simonse, élu SGP de la région du Flevoland, justifie cette défense indéfectible : « Les Israéliens ont une place spéciale dans le cœur de Dieu et donc, dans le nôtre, en tant que chrétiens ».
Le soutien à Israël peut étonner dans cette région reculée des Pays-Bas, à des milliers de kilomètres du conflit actuel. La raison est pourtant simple : la plupart des habitants d’Urk forment leurs opinions politiques durant les offices, où le sujet est abordé sans cesse. Un mercredi de février, le pasteur du temple Pniël le démontre durant l’office. « Israël est la nation du Seigneur, prêche-t-il, Dieu a conduit le peuple juif vers la Terre promise pour préparer une place pour le Seigneur, c’est ainsi qu’il a pu venir dans notre monde. Alors, aujourd’hui, nous devons continuer à prier pour eux et pour leur paix ».
La Bible au pied de la lettre
Ce pasteur, Hein Korving, prêche en costume noir des idées ultra-conservatrices, parfaitement identiques à celles du SGP. Devant lui, les croyants aux mêmes tenues sombres sont rassemblés. L’office est l’occasion pour lui de donner son avis sur les sujets internationaux, mais aussi sociétaux. Un autre pasteur de la congrégation énonce, le même jour, dans le temple d’en face : « Seigneur, nous avons besoin d’un miracle pour faire comprendre au monde que ce n’est pas à nous de choisir si la vie est finie », faisant ici référence à l’euthanasie, dépénalisée depuis plus de vingt ans aux Pays-Bas.
Les politiques du SGP ont bien conscience du poids important des temples à Urk. Nathanaël Middelkoop, élu SGP à la mairie, explique sa réussite aux élections en disant simplement que « les habitants d’ici votent en fonction de leur temple, ils parlent de l’actualité sur le parvis et s’y donnent des consignes pour les urnes » allant jusqu’à ajouter « chaque congrégation a en réalité son parti ». Et, d’après Nathanaël Middelkoop, le SGP est particulièrement bien relié à ce tissu religieux local : le parti « porte les valeurs chrétiennes » et « sait que le gouvernement tient son pouvoir de Dieu ».
« Le gouvernement tient son pouvoir de Dieu »
Nathanaël Middelkoop, élu SGP à la mairie d’Urk
Une frange plus libérale
En face de la mairie où travaille Nathanaël Middelkoop, le pasteur du temple Petra montre une autre facette, moins visible, de la ville. L’édifice se remplit peu à peu avec des familles, où les garçons s’assoient avec leurs cheveux et leur Bible mouillés. Ils portent des boucles d’oreille en or qui rappellent l’histoire d’Urk, quand les marins vendaient ces bijoux pour payer leur enterrement, loin de leur famille. Sa congrégation, plus libérale, rassemble 5 000 croyants de la commune et propose des offices en anglais pour les réfugiés. Le pasteur appelle ici à prier pour la paix dans le monde, « pour le peuple d’Israël, pour ceux dont les proches sont encore otages et pour ceux chassés de leurs maisons à Gaza ».
« Les femmes ne se couvrent pas la tête et on n’est pas en noir ici, tout le monde est le bienvenue chez nous, pas comme en face » explique Lub Barends, un habitué du temple Petra. À la sortie de l’office, il invite facilement les inconnus dans sa maison.
« C’est plutôt rare de voir des nouvelles têtes en ville » s’amuse-t-il. Chez lui, les croix décorent sobrement le salon. Il propose son habituel gâteau à la myrtille, toujours prêt à en dégainer une part. « Je ne vote pas pour le parti SGP, non, explique-t-il, mais pour l’Appel chrétien-démocrate, moins radical disons ». Le vieil homme, retraité, prend pour exemple la fois où il a aidé « une Polonaise dans les rues d’Urk, il pleuvait et elle ne savait pas où dormir, alors j’ai mis une couette sur mon canapé et j’ai ouvert ma porte. C’est ça, le devoir des chrétiens ».