Amsterdam © Lucas Franchineau / Kanaal
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Petit à petit, les oiseaux font leurs nids

Le nombre d’espèces d’oiseaux ne cessent d’aug­men­ter dans la ville aux canaux. Face à l’ef­fon­dre­ment des popu­la­tions, la muni­ci­pa­li­té amé­nage son pay­sage urbain et ses parcs pour mieux accueillir la bio­di­ver­si­té.

Une fois fran­chi, le por­tail de pierre du Fle­vo­park à Amster­dam laisse place à un concert de gazouillis, de piaules et autres sif­fle­ments. Il pleut. Les gouttes sont lourdes, la nature sou­rit. Quelques pas boueux sous de grands arbres amènent face à un étang. Un café en hiber­na­tion dort sur sa berge. Sou­dain, un éclair bleu réveille le Groupe de tra­vail sur les oiseaux d’Am­ster­dam, com­po­sé d’ornithologue, de cher­cheurs, de pas­sion­nés et de curieux. Les dizaines de jumelles se lèvent et le détail des plumes azur du mar­tin-pêcheur appa­raît enfin devant leurs yeux. Aujourd’hui, Tycho Fok­ke­ma, quin­qua­gé­naire et membre de l’association, guide la petite bande à tra­vers les zones humides et le long de l’ancien cime­tière juif en friche du Fle­vo­park. Il a la barbe grise des trap­peurs et le regard des éter­nels émer­veillés. «Hop là-bas», chu­chote l’amoureux des oiseaux en poin­tant du doigt une souche d’arbre retour­née. Un couple de tro­glo­dytes mignons y a élu domi­cile. Tycho Fok­ke­ma sai­sit son car­net pour prendre quelques notes sur l’un des plus petits pas­se­reaux du vieux conti­nent. Pin­son du nord, grim­pe­reau et biho­reau, mésange à longue queue… La mati­née passe et les espèces obser­vées s’en­chaînent. Au total, elles sont une qua­ran­taine à se par­ta­ger le demi kilo­mètre car­ré du parc.

Situé en zone urbaine, le Fle­vo­park recréé un envi­ron­ne­ment pro­pice au déve­lop­pe­ment de la bio­di­ver­si­té. © Lucas Fran­chi­neau / Kanaal

Pour pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té du Fle­vo­park, et des autres lieux verts d’Am­ster­dam, la muni­ci­pa­li­té fait de nom­breux d’efforts. Un groupe d’une dizaine d’é­co­logues tra­vaille à temps plein sur le sujet pour la ville. Ils sont char­gés de l’aménagement des parcs et de l’urbanisme. La capi­tale, lieu de pèle­ri­nage pour les oiseaux, met tout en œuvre pour mieux accueillir la bio­di­ver­si­té au cœur de la ville, celle-ci étant d’une grande richesse. Au prin­temps, ce sont plus de 200 espèces qui s’y réunissent. La ville aux canaux a la spé­ci­fi­ci­té d’être au croi­se­ment de voies de migra­tions.

S’a­joutent à ces oiseaux migra­teurs effec­tuant des allers-retours, les rési­dents per­ma­nents. Il n’est pas rare de croi­ser un héron dans la nuit pourpre du quar­tier rouge. Sans comp­ter les vola­tiles marins pré­sents grâce à la proxi­mi­té avec la Mer du Nord et la Mer des Wad­den. La capi­tale des Pays-Bas, très urba­ni­sée en son centre, compte des aires natu­relles impor­tantes. « La zone métro­po­li­taine reste peu éten­due, et très vite, on y trouve des espaces agri­coles et fores­tiers », sou­ligne Tycho Fok­ke­ma. Des axes verts, appe­lés groene scheg­gen, tra­versent la ville. Ces suc­ces­sions de parcs et de friches, ain­si que le réseau de canaux, forment des cor­ri­dors natu­rels depuis les envi­rons jus­qu’aux centre-ville.

Une législation en faveur des espaces verts

À Amster­dam, la légis­la­tion brosse les oiseaux dans le sens des plumes. La Wet natuur­bes­cher­ming, la loi sur la conser­va­tion de la nature a été rem­pla­cée et ren­for­cée en 2024 par la loi sur l’environnement et s’applique sur l’ensemble du pays. Mais la muni­ci­pa­li­té de la capi­tale, au niveau local, va plus loin. Si un espace natu­rel est sacri­fié au pro­fit d’un espace urbain, une zone équi­va­lente doit être créée ailleurs. « Par exemple, si un nid est pré­sent sur un ter­rain à bâtir, le pro­prié­taire doit sus­pendre les tra­vaux ou construire un nid autre part », raconte le natu­ra­liste béné­vole. De plus, l’a­bat­tage des arbres est inter­dit en période de nidi­fi­ca­tion et « doit faire l’objet d’une exper­tise par un groupe d’é­co­logues », com­plète-t-il. Y com­pris sur le lit­to­ral, les éoliennes sont colo­rées et même immo­bi­li­sées pen­dant les périodes migra­toires. 

Le Fle­vo­park est un témoin des efforts faits par la ville d’Amsterdam. C’est un parc aux allures de garde-man­ger, fait par des humains, pour la faune et la flore. « On s’est ren­du compte qu’il fal­lait lais­ser la nature “s’exprimer” dans les parcs, explique Tycho Fok­ke­ma. « Ici, on uti­lise sou­vent l’ex­pres­sion : le bois mort, vit ». Sur le sol, les troncs d’arbres tom­bés pour­rissent aux rythme des coups de bec. Et les bran­chages sont récu­pé­rés pour créer des bos­quets arti­fi­ciels. Ces amé­na­ge­ments, ou ce “lais­ser faire”,  per­mettent de four­nir de la nour­ri­ture et un abri aux cham­pi­gnons, aux mousses, aux plantes, aux ani­maux… L’en­tre­tien des espaces verts de la ville se fait lui aus­si d’un point de vue éco­lo­gique : fauche tar­dive des hautes herbes et taille par­tielle pour les bocages. « On sait que les ani­maux les uti­lisent comme habi­tat de vie et de repro­duc­tion », explique le spé­cia­liste des oiseaux.

Un oiseau dans la ville 

La ville elle-même change et s’adapte à la bio­di­ver­si­té. « Nos plus beaux parcs sont d’an­ciennes cein­tures urbaines ou indus­trielles », affirme Tycho Fok­ke­ma. C’est le cas de GWL-Ter­rein, le plus vieux éco-quar­tier des Pays-Bas, situé dans l’arrondissement Amster­dam-West. Le lieu rési­den­tiel de six hec­tares, construit en 1997 sur une ancienne friche indus­trielle, fait figure de modèle. Les immenses murs de brique rouge sont recou­verts de plantes grim­pantes ou d’une ossa­ture de bois. Plu­sieurs par­paings sont per­cés pour que les oiseaux puissent nicher à l’intérieur. Une colo­nie de moi­neaux en ont fait leurs mai­sons. Peter Kas­sies, coor­di­na­teur de l’association des rési­dents de GWL-Ter­rein, déam­bule - fier comme un coq – dans ce dédale de ver­dure. Les éten­dues d’herbes, les arbres d’essences dif­fé­rentes, le jar­din col­lec­tif et les haies élan­cées enva­hissent les quelques pavés des che­mins. « Nous essayons d’i­den­ti­fier toutes les oppor­tu­ni­tés pour rendre le quar­tier plus vert », assure Peter Kas­sies, qui vit ici depuis qua­torze ans. Le matin même, quinze saules ont été plan­tés le long d’une voie d’eau qui tra­verse le lieu pour accueillir la plus grande diver­si­té d’es­pèces.

Ce grand ensemble, comp­tant 2 000 habi­tants et 650 loge­ments, est un labo­ra­toire à ciel ouvert. Les tra­vaux pro­fitent aus­si aux habi­tants. Les murs végé­ta­li­sés jus­qu’aux toits sont des refuges pour les insectes et les oiseaux – et inté­ressent aus­si les humains. « On peut pré­ve­nir les inon­da­tions et gar­der au frais les habi­ta­tions, c’est cinq degrés en moins pen­dant l’été », vante le coor­di­na­teur de l’as­so­cia­tion des rési­dents. Une micro-ferme, appré­ciée des gamins du quar­tier, abrite quelques poules, une vache, un cochon et des lapins. « Aujourd’hui, vous avez une géné­ra­tion de jeunes enfants qui vivent en ville et ne voient pas d’a­ni­maux, s’inquiète Peter Kas­sies, ou peut-être seule­ment à la télé­vi­sion et dans leurs assiettes ». Le résident n’a jamais pen­sé à démé­na­ger. « J’ai une mai­son avec un jar­din à Amster­dam, c’est du jamais vu, je suis très heu­reux de vivre ici», dit-il avec un large sou­rire.

Menace dans les champs

Si Amster­dam et cer­tains de ses quar­tiers, comme GWL-Ter­rein, sont deve­nus une terre d’accueil pour les oiseaux, c’est loin d’être le cas dans le reste du pays. Aux Pays-Bas, la popu­la­tion d’oi­seaux connaît un déclin majeur depuis la deuxième moi­tié du XXe siècle. La crise de l’a­zote due à l’exploitation des vaches, l’extraction de gaz, le chan­ge­ment cli­ma­tique, la pêche indus­trielle et la grippe aviaire « mettent tous les oiseaux en dan­ger », regrette Tycho Fok­ke­ma. L’agriculture est donc la pre­mière cause de ce déclin. Le sys­tème agroa­li­men­taire néer­lan­dais, consi­dé­ré comme l’un des plus per­for­mants au monde, classe le pays à la deuxième place des expor­ta­teurs mon­diaux de pro­duits agroa­li­men­taires, der­rière les États-Unis. Pour garan­tir cette pro­duc­ti­vi­té, les fermes, ultra-indus­tria­li­sées, pra­tiquent la mono­cul­ture et uti­lisent de nom­breux pes­ti­cides. Résul­tat : des kilo­mètres car­rés de champ sans bocage ni haies, à perte de vue. Des espaces qui sont pour­tant le refuge habi­tuel des oiseaux, deve­nus silen­cieux. Un para­doxe appa­raît : la ville d’Amsterdam sera bien­tôt plus accueillante que les zones natu­relles envi­ron­nantes.

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