Le nombre d’espèces d’oiseaux ne cessent d’augmenter dans la ville aux canaux. Face à l’effondrement des populations, la municipalité aménage son paysage urbain et ses parcs pour mieux accueillir la biodiversité.
Une fois franchi, le portail de pierre du Flevopark à Amsterdam laisse place à un concert de gazouillis, de piaules et autres sifflements. Il pleut. Les gouttes sont lourdes, la nature sourit. Quelques pas boueux sous de grands arbres amènent face à un étang. Un café en hibernation dort sur sa berge. Soudain, un éclair bleu réveille le Groupe de travail sur les oiseaux d’Amsterdam, composé d’ornithologue, de chercheurs, de passionnés et de curieux. Les dizaines de jumelles se lèvent et le détail des plumes azur du martin-pêcheur apparaît enfin devant leurs yeux. Aujourd’hui, Tycho Fokkema, quinquagénaire et membre de l’association, guide la petite bande à travers les zones humides et le long de l’ancien cimetière juif en friche du Flevopark. Il a la barbe grise des trappeurs et le regard des éternels émerveillés. «Hop là-bas», chuchote l’amoureux des oiseaux en pointant du doigt une souche d’arbre retournée. Un couple de troglodytes mignons y a élu domicile. Tycho Fokkema saisit son carnet pour prendre quelques notes sur l’un des plus petits passereaux du vieux continent. Pinson du nord, grimpereau et bihoreau, mésange à longue queue… La matinée passe et les espèces observées s’enchaînent. Au total, elles sont une quarantaine à se partager le demi kilomètre carré du parc.
Pour préserver la biodiversité du Flevopark, et des autres lieux verts d’Amsterdam, la municipalité fait de nombreux d’efforts. Un groupe d’une dizaine d’écologues travaille à temps plein sur le sujet pour la ville. Ils sont chargés de l’aménagement des parcs et de l’urbanisme. La capitale, lieu de pèlerinage pour les oiseaux, met tout en œuvre pour mieux accueillir la biodiversité au cœur de la ville, celle-ci étant d’une grande richesse. Au printemps, ce sont plus de 200 espèces qui s’y réunissent. La ville aux canaux a la spécificité d’être au croisement de voies de migrations.
S’ajoutent à ces oiseaux migrateurs effectuant des allers-retours, les résidents permanents. Il n’est pas rare de croiser un héron dans la nuit pourpre du quartier rouge. Sans compter les volatiles marins présents grâce à la proximité avec la Mer du Nord et la Mer des Wadden. La capitale des Pays-Bas, très urbanisée en son centre, compte des aires naturelles importantes. « La zone métropolitaine reste peu étendue, et très vite, on y trouve des espaces agricoles et forestiers », souligne Tycho Fokkema. Des axes verts, appelés groene scheggen, traversent la ville. Ces successions de parcs et de friches, ainsi que le réseau de canaux, forment des corridors naturels depuis les environs jusqu’aux centre-ville.
Une législation en faveur des espaces verts
À Amsterdam, la législation brosse les oiseaux dans le sens des plumes. La Wet natuurbescherming, la loi sur la conservation de la nature a été remplacée et renforcée en 2024 par la loi sur l’environnement et s’applique sur l’ensemble du pays. Mais la municipalité de la capitale, au niveau local, va plus loin. Si un espace naturel est sacrifié au profit d’un espace urbain, une zone équivalente doit être créée ailleurs. « Par exemple, si un nid est présent sur un terrain à bâtir, le propriétaire doit suspendre les travaux ou construire un nid autre part », raconte le naturaliste bénévole. De plus, l’abattage des arbres est interdit en période de nidification et « doit faire l’objet d’une expertise par un groupe d’écologues », complète-t-il. Y compris sur le littoral, les éoliennes sont colorées et même immobilisées pendant les périodes migratoires.
Le Flevopark est un témoin des efforts faits par la ville d’Amsterdam. C’est un parc aux allures de garde-manger, fait par des humains, pour la faune et la flore. « On s’est rendu compte qu’il fallait laisser la nature “s’exprimer” dans les parcs, explique Tycho Fokkema. « Ici, on utilise souvent l’expression : le bois mort, vit ». Sur le sol, les troncs d’arbres tombés pourrissent aux rythme des coups de bec. Et les branchages sont récupérés pour créer des bosquets artificiels. Ces aménagements, ou ce “laisser faire”, permettent de fournir de la nourriture et un abri aux champignons, aux mousses, aux plantes, aux animaux… L’entretien des espaces verts de la ville se fait lui aussi d’un point de vue écologique : fauche tardive des hautes herbes et taille partielle pour les bocages. « On sait que les animaux les utilisent comme habitat de vie et de reproduction », explique le spécialiste des oiseaux.
Un oiseau dans la ville
La ville elle-même change et s’adapte à la biodiversité. « Nos plus beaux parcs sont d’anciennes ceintures urbaines ou industrielles », affirme Tycho Fokkema. C’est le cas de GWL-Terrein, le plus vieux éco-quartier des Pays-Bas, situé dans l’arrondissement Amsterdam-West. Le lieu résidentiel de six hectares, construit en 1997 sur une ancienne friche industrielle, fait figure de modèle. Les immenses murs de brique rouge sont recouverts de plantes grimpantes ou d’une ossature de bois. Plusieurs parpaings sont percés pour que les oiseaux puissent nicher à l’intérieur. Une colonie de moineaux en ont fait leurs maisons. Peter Kassies, coordinateur de l’association des résidents de GWL-Terrein, déambule - fier comme un coq – dans ce dédale de verdure. Les étendues d’herbes, les arbres d’essences différentes, le jardin collectif et les haies élancées envahissent les quelques pavés des chemins. « Nous essayons d’identifier toutes les opportunités pour rendre le quartier plus vert », assure Peter Kassies, qui vit ici depuis quatorze ans. Le matin même, quinze saules ont été plantés le long d’une voie d’eau qui traverse le lieu pour accueillir la plus grande diversité d’espèces.
Ce grand ensemble, comptant 2 000 habitants et 650 logements, est un laboratoire à ciel ouvert. Les travaux profitent aussi aux habitants. Les murs végétalisés jusqu’aux toits sont des refuges pour les insectes et les oiseaux – et intéressent aussi les humains. « On peut prévenir les inondations et garder au frais les habitations, c’est cinq degrés en moins pendant l’été », vante le coordinateur de l’association des résidents. Une micro-ferme, appréciée des gamins du quartier, abrite quelques poules, une vache, un cochon et des lapins. « Aujourd’hui, vous avez une génération de jeunes enfants qui vivent en ville et ne voient pas d’animaux, s’inquiète Peter Kassies, ou peut-être seulement à la télévision et dans leurs assiettes ». Le résident n’a jamais pensé à déménager. « J’ai une maison avec un jardin à Amsterdam, c’est du jamais vu, je suis très heureux de vivre ici», dit-il avec un large sourire.
Menace dans les champs
Si Amsterdam et certains de ses quartiers, comme GWL-Terrein, sont devenus une terre d’accueil pour les oiseaux, c’est loin d’être le cas dans le reste du pays. Aux Pays-Bas, la population d’oiseaux connaît un déclin majeur depuis la deuxième moitié du XXe siècle. La crise de l’azote due à l’exploitation des vaches, l’extraction de gaz, le changement climatique, la pêche industrielle et la grippe aviaire « mettent tous les oiseaux en danger », regrette Tycho Fokkema. L’agriculture est donc la première cause de ce déclin. Le système agroalimentaire néerlandais, considéré comme l’un des plus performants au monde, classe le pays à la deuxième place des exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires, derrière les États-Unis. Pour garantir cette productivité, les fermes, ultra-industrialisées, pratiquent la monoculture et utilisent de nombreux pesticides. Résultat : des kilomètres carrés de champ sans bocage ni haies, à perte de vue. Des espaces qui sont pourtant le refuge habituel des oiseaux, devenus silencieux. Un paradoxe apparaît : la ville d’Amsterdam sera bientôt plus accueillante que les zones naturelles environnantes.