Leaders mondiaux de l’innovation agroalimentaire, le savoir-faire néerlandais est convoité par les startups du monde entier. C’est à l’université de Wageningen, au cœur de la Food Valley, que se trouvent ces génies de la Food Tech. Parmi ses spécialités, l’impression alimentaire en 3D, développée par la startup israélienne Redefine Meat.
À première vue, aucune différence. Ce steak ressemble à un steak. Grillé à l’extérieur, saignant à l’intérieur, moelleux sous la lame du couteau. Non, vraiment. Aucune différence. Peter Gast, un chef étoilé de la capitale néerlandaise, est tombé sous le charme de ce trompe‑l’œil, qu’il sert dans le menu secret de son restaurant étoilé Graphite.
Derrière ce mystérieux menu, que seuls les habitués connaissent, se cachent quinze à vingt plats haut-de-gamme à base de plantes. Parmi eux, cette fausse bavette de bœuf 100% végétale, servie dans une sauce à la crème citronnelle. « C’est fibreux et juteux. J’ai l’impression de manger de la vraie viande de bœuf », s’exclame Leo, un client qui savoure le plat pour la première fois. « Mais il y a un léger goût de bouillon de légumes à la fin », remarque-t-il.
Avec ce produit, Peter Gast espère satisfaire la clientèle végétarienne. Pour Anneke, une amatrice de viande devenue végane par convictions, le pari est réussi. « Je suis contente de pouvoir manger un steak sans viande qui a le goût de la viande », s’exclame-t-elle, en ne faisant qu’une bouchée de la bavette.
Mais cette fausse viande, encore rare et méconnue, coûte cher : 20 euros le kilo. « C’est le même prix que du vrai bœuf », souffle le chef étoilé. Néanmoins, ce n’est pas la même façon de le cuisiner. Il s’y est mis dix fois avant de trouver la recette parfaite. « On le cuit sous-vide à 54 degrés pendant deux heures, puis on fait griller de chaque côté pendant 3 minutes avec un peu de poivre. » Aussi, « Il faut beaucoup saler et le servir avec énormément de sauce, sinon il est fade et caoutchouteux », affirme ce passionné des innovations alimentaires.
C’est la startup israélienne, Redefine Meat, qui lui a proposé en 2018 de commercialiser cette « nouvelle viande » dans son restaurant cossu. Startup israélienne certes, mais bien implantée aux Pays-Bas…
« On ne met pas en avant la technologie, car elle fait encore peur »
C’est à Best, au Sud du pays, que la startup a installé son usine internationale en 2021. À l’entrée, un showroom aux allures d’un Buffalo grill premium, sert à recevoir les investisseurs pour leur faire déguster le produit phare.
Contrairement au restaurant de Peter Gast, pas question de draguer les veggies. La cible, ce sont les adeptes du barbecue. À la différence des steaks de soja qui jouent sur la carte bien-être et meilleur pour la planète… Ici, la marque vante un steak juteux, autant qu’un rôti fumant… jusque sur l’emballage.
Du logo représentant une vache à l’envers au nom des produits: « steak haché saveur barbecue », « kebab d’agneau », « effiloché de bœuf » ou « saucisse merguez à la méditerranéenne »… C’est seulement en bas de l’emballage qu’on peut lire en tout petit que le produit est 100% à base de plantes. « On veut aider ceux qui mangent beaucoup de viande à diminuer leur consommation de vraie viande », explique Edwin Bark, chargé de développer la marque à l’international. Ici, on ne vend pas la technologie mais le goût.
Pour la partie tech, c’est au fond de l’usine que ça se passe. C’est dans une pièce fermée, sans fenêtre, qu’est dissimulée l’imprimante 3D. « On ne met pas en avant la technologie, car elle fait encore peur », confie Edwin Bark, qui travaille pour Redefine Meat depuis plus de cinq ans.
Ici, une vingtaine d’imprimantes sont commandées à distance par des ingénieurs agroalimentaires, charlotte sur la tête et surchaussures aux pieds. Chaque imprimante est dotée de trois tuyaux remplis d’une pâte végétale différente. Chacun joue son propre rôle : l’un imite la fibre musculaire de la vraie viande, un autre recréé son sang, tandis que le dernier reproduit le gras de la viande conventionnelle.
Cette pâte à base de plantes, dont la recette complète est gardée secrète, se compose principalement d’huile de coco, de jus de betterave et de cranberry, ainsi que de soja. En fonction des produits, on retrouve également de l’huile de cacao, des pois chiche, du riz ou de la pomme de terre. « On utilise surtout du soja, car c’est ce qui nous coûte le moins cher », reconnaît ce diplômé de l’École de management de Rotterdam.
Au bout des tuyaux, une seringue dépose au millimètre près, couche après couche, la fameuse pâte végétale. C’est cette machine qui recréée la bavette servie chez Peter Gast, en dix minutes. « On est capables de produire une tonne de viande par jour », se félicite ce Néerlandais, qui vante un steak meilleur pour la santé que celui issu de la viande animale. « Il est plus protéiné, sans cholestérol et quasiment sans sel. » Même s’il admet que la texture et la saveur des produits sont améliorables. « On se donne trois ans pour mieux faire », poursuit-il.
Pour améliorer sa fausse viande, la startup compte sur le savoir-faire néerlandais. Leaders mondiaux de l’innovation agroalimentaire, c’est la Food Valley qui attire la jeune pousse, et des milliers d’autres encore…
L’Université de Wageningen, c’est « une fourmilière à talents ! »
Le cœur de cette Food Valley, c’est le campus de l’Université de Wageningen, dans la campagne néerlandaise. C’est dans ces bâtiments aux allures futuristes que 30.000 chercheurs, étudiants et entrepreneurs mijotent la nourriture du futur. Parmi les nombreux projets développés à Wageningen, la première imprimante 3D alimentaire au monde.
Chez Redefine Meat, « on a nommé un responsable des relations avec l’université. Il s’y rend une fois par mois. » Objectif: rester dans la course à l’innovation, parce que Wageningen, « c’est une fourmilière à talents ! », s’exclame Edwin Bark.
Même les géants de l’agroalimentaire sont sur place. Kraft, Heinz, Unilever et Danone ont implanté un centre de recherches culinaires sur le campus. « Les entreprises du monde entier sont nombreuses à nous solliciter », ironise Erik Von der Linder, responsable des recherches en sciences physiques de l’alimentation à l’Université de Wageningen.
Dans leur laboratoire, Von der Linder et son équipe analysent le visuel d’un vrai morceau de viande. « Il faut d’abord comprendre la texture qu’on veut imiter avant de l’imprimer » explique le physicien. Alors les chercheurs reproduisent la texture du steak avec une imprimante 3D non-alimentaire, jusqu’à pouvoir parfaitement l’imiter, et ainsi l’adapter à un produit consommable. Impossible néanmoins de pénétrer dans ce laboratoire. Ici, tout est top secret. « Les entreprises nous paient pour améliorer la texture de leurs produits », explique-t-il.
Parmi les attentes des clients, l’élaboration d’un produit sain, mais surtout, rentable. Dans la composition de la fausse bavette de Redefine Meat, du « méthylcellulose », peut-on lire sur l’emballage. Un additif à risque modéré pour Erik Von der Linder, mais dont il pourrait bien se passer. « On peut faire une viande 100% végétale sans additif, mais le procédé est plus long et plus coûteux pour les entreprises. » Sans ces substances parfois nocives pour la santé, le coût de production reviendrait trois fois plus cher à l’entreprise. C’est ce qu’estime le professeur en sciences physiques de l’alimentation.
Les chercheurs de cette université sont les seuls au monde capables de recréer toutes les textures possibles et imaginables pour imprimer de la nourriture en 3D. « Mais ne le dites pas, on veut pouvoir continuer à travailler calmement », lance humblement Erik Von der Linder.
C’est tout l’inverse pour Redefine Meat, qui a de grandes ambitions. Au-delà des restaurants gastronomiques, Edwin Bark aimerait bien proposer sa viande sans viande directement aux particuliers et franchir les frontières des Pays-Bas. « Nous sommes en discussion avec une chaîne de restauration française pour ajouter nos produits sur sa carte », se réjouit Edwin Bark. Si les discussions aboutissent, ce serait une première dans l’Hexagone.