Volendam © Mathilde Danion / Kanaal

À Volendam, entre ouverture au tourisme et repli sur soi

Le petit port de pêche attire chaque année plus d’un mil­lion de visi­teurs, venu du monde entier pour décou­vrir ce lieu si par­ti­cu­lier. Mais der­rière les mai­sons en bois, les tra­di­tions laissent par­fois place au repli sur soi et à la mon­tée de l’ex­trême droite.

Sha­mi­ra est pen­chée en avant, sa coiffe blanche en équi­libre sur la tête. Sa longue jupe colo­rée tombe sur ses sabots en bois. La tren­te­naire tend un peu plus ses bras tatoués vers l’avant pour prendre une der­nière pho­to de sa grand-mère et son fils, eux-mêmes cos­tu­més, avec son télé­phone. « Ça fait 35 euros » lui indique Lia Zwar­thoed, la pro­prié­taire des lieux. Situé à l’arrière de la bou­tique Foto­graaf Zwar­thoed, le petit salon très lumi­neux res­semble à s’y méprendre à celui d’une vieille mai­son. Mais ici, un énorme appa­reil posé sur un tré­pied per­met d’immortaliser le court moment pas­sé par les clients dans le stu­dio pho­to.

À Volen­dam, cité por­tuaire située à 21 kilo­mètres au nord d’Amsterdam, venir se faire prendre en pho­to en tenue tra­di­tion­nelle est un pas­sage obli­gé pour de nom­breux voya­geurs, même néer­lan­dais. La ville de 22 000 habi­tants est très connue pour le tou­risme, et ce depuis plus d’un siècle. Chaque année, plus d’un mil­lion de visi­teurs se rendent dans ce lieu à l’allure de petit vil­lage, qui semble ne pas avoir pris une ride. « Nous sommes venus spé­cia­le­ment à Volen­dam pour le cadeau d’anniversaire de ma grand-mère, car elle a fait une pho­to ici en tenue tra­di­tion­nelle quand elle avait 12 ans. On vou­lait en reprendre une avec la famille », raconte Sha­mi­ra, la tren­taine, en mon­trant la pho­to mono­chrome hors d’âge entou­rée d’une petite bande blanche.

Le stu­dio pho­to est déco­ré comme une mai­son typique de Volen­dam. © Mathilde Danion / Kanaal
Jus­qu’à 55 per­sonnes peuvent être prises en pho­to en même temps dans le stu­dio. © Mathilde Danion / Kanaal

Un charme historique

À l’entrée de la bou­tique Foto­graaf Zwar­thoed, ouverte depuis 1920, les cos­tumes s’empilent comme dans les cou­lisses d’un théâtre. Jupes colo­rées en laine, coiffes légères, épais man­teaux bleu marine… Jusqu’à 55 per­sonnes peuvent prendre la pause sur une pho­to, ce qui néces­site un grand nombre de cos­tumes. Les accou­tre­ments sont accro­chés à des portes-man­teaux le long des murs. « Ce sont les vête­ments tra­di­tion­nels de la ville. Les tenues de tra­vail des pêcheurs et les habits du dimanche », éclaire Lia Zwar­thoed âgée de 58 ans, dont 37 pas­sés à tenir la bou­tique. 

Mais il n’y a pas que les tou­ristes qui s’intéressent à cet héri­tage. Les Volen­da­mois y semblent eux aus­si très atta­chés. Une fois par an au mois d’avril, nombre d’entre eux res­sortent les vête­ments d’antan lors de la fête de la ville, où l’on peut alors aper­ce­voir des femmes en longues jupes coif­fées de blanc. Ces habits se por­taient encore régu­liè­re­ment dans les années 1960. « Mon père – l’ancien gérant du maga­sin, qui a 76 ans – met­tait encore le large pan­ta­lon en velours et les sabots quand il était jeune », selon Lia Zwar­thoed. Sur les éta­gères de la bou­tique, à côté des pho­tos en cos­tume de stars néer­lan­daises et inter­na­tio­nales, un cli­ché de bam­bin montre que les gens d’ici viennent aus­si au stu­dio pho­to « pour la nais­sance de leurs enfants », pré­cise la pro­prié­taire des lieux.

L’Hô­tel Spaan­der, ouvert en 1881, est emblé­ma­tique de la ville. © Mathilde Danion / Kanaal

Dans la prin­ci­pale rue pavée qui longe le port, on trouve pas moins de sept stu­dios pho­to comme le sien, une petite dizaine de bou­tiques de sou­ve­nirs et de nom­breux res­tau­rants. C’est en s’échappant dans les rues déro­bées – où les ponts enjambent de très fins canaux – que le charme de Volen­dam opère le plus. Dans le petit quar­tier his­to­rique du doo­lo­hof – laby­rinthe en néer­lan­dais, les anciennes mai­sons des pêcheurs aux toits tri­an­gu­laires sont col­lées les unes aux autres, cer­taines peintes en vert. Ce décor de carte pos­tale a façon­né la noto­rié­té de Volen­dam à tra­vers le pays. Le charme de cette ville, faci­le­ment acces­sible depuis Amster­dam, a séduit des voya­geurs par­mi les plus pres­ti­gieux. Renoir et Picas­so pas­se­ront quelque temps dans la cité por­tuaire au début du XXe siècle. José­phine Baker sera quant à elle fil­mée en 1928 en train de dan­ser le char­les­ton en habit tra­di­tion­nel. 

Ce qui a fait venir ces artistes, comme tant d’autres tou­ristes aujourd’hui, c’est la dif­fu­sion à l’étranger de la culture volen­da­moise. Dès la fin du XIXe siècle, le pro­prié­taire de l’hôtel Spaan­der, fon­dé en 1881, a fait poser sa fille en tenue tra­di­tion­nelle pour des peintres, et a fait impri­mer des images des plus beaux endroits de la ville pour la pro­mo­tion de son éta­blis­se­ment. La façade de l’hôtel ne semble pas avoir beau­coup chan­gé depuis sa créa­tion. Elle arbore les mêmes volets blanc et rouge carac­té­ris­tiques de la ville.

L’héritage des pêcheurs

À l’époque des cartes pos­tales de Spaan­der, Volen­dam n’était qu’un petit port connu pour l’anguille. Mais, en 1932, le tou­risme va prendre son essor, au détri­ment de la pêche. La construc­tion d’une digue trans­forme la mer Zui­der­zee, qui borde Volen­dam, en deux grands lacs et affecte dura­ble­ment la pêche qui fai­sait vivre les habi­tants. Plus tard dans les années 1980, la popu­la­tion d’anguilles com­mence à décli­ner, et a désor­mais qua­si­ment dis­pa­ru.

Selon Evert Smit, qui dirige avec ses parents la der­nière fume­rie arti­sa­nale de la ville, il n’y plus aujourd’hui que deux bateaux de pêcheurs à Volen­dam, contre encore 55 aupa­ra­vant. « En été, les pêcheurs rame­naient 500 kg de pois­son par jour et par bateau, l’anguille était notre pomme de terre, raconte le grand blond. Désor­mais c’est un pro­duit déli­cat », dont la pêche n’est auto­ri­sée que quatre mois par an. Pour s’adapter, les parents d’Evert ont ouvert en 2003 un res­tau­rant, à côté de la fume­rie Smit-Bakum. Le pois­son fumé est ven­du dans la petite bou­tique atte­nante ou ser­vi aux clients du res­tau­rant. « L’été, nous pou­vons faire jusqu’à 150 cou­verts par jour », pré­cise fiè­re­ment le pro­prié­taire, qui se des­ti­nait à une car­rière dans la banque.

Smit-Bok­kum, la der­nière fume­rie arti­sa­nale de Volen­dam, est tenue par la même famille depuis six géné­ra­tions. © Mathilde Danion / Kanaal

Récupération des traditions

Mais un détail échappe aux tou­ristes d’un jour. Si la cité por­tuaire est accueillante pour les voya­geurs, elle n’est pas consi­dé­rée comme très ouverte par le reste du pays. Aux der­nières élec­tions légis­la­tives de fin 2023, Volen­dam n’a pas échap­pé à la vague Geert Wil­ders, qui a défer­lé sur les Pays-Bas. Près d’un habi­tant sur deux (42%) a voté pour le Par­ti pour la liber­té (PVV). C’est 18 % de plus qu’aux der­nières élec­tions de 2021. Mais le phé­no­mène n’est pas nou­veau à Volen­dam. En 2007, la ville avait enre­gis­tré le plus gros score pour l’extrême-droite dans le pays. Les rai­sons avan­cées par les obser­va­teurs poli­tiques sont mul­tiples : situa­tion com­pli­quée de la pêche ou encore conser­va­tisme latent.

Cer­tains regrettent de voir leur ville ché­rie réduite à l’extrême-droite. « Je crois que les gens à Volen­dam n’ont pas de véri­tables pré­fé­rences poli­tiques, ils veulent juste qu’on les laisse tran­quilles », explique Rin­go, étu­diant au conser­va­toire d’Utrecht, et ori­gi­naire de Volen­dam.  Dans le pas­sé, « il y a aus­si eu des dis­cri­mi­na­tions » envers cette ville catho­lique dans un pays pro­tes­tant. 

Rin­go loge dans une chambre au der­nier étage d’une mai­son d’Amsterdam. Au-des­sus de son large lit en bois, les por­traits de ses ancêtres semblent veiller sur lui. Salo­pette tra­di­tion­nelle, livres de pho­tos de Volen­dam ou impo­sante sta­tue reli­gieuse typique de la ville… Les objets pré­sents dans la pièce tra­duisent un atta­che­ment fort à la culture de la ville, dans laquelle il retourne sou­vent. Conju­guant sa pas­sion pour les langues avec celle pour sa ville, il a entre­pris l’écriture d’un dic­tion­naire du dia­lecte local de Volen­dam, avec déjà 15 000 mots recen­sés. Dans cet ouvrage, « mon but est d’informer sur la beau­té du dia­lecte et de per­mettre à tous les Volen­da­mois de mesu­rer la richesse de leur propre culture », évoque-t-il dans un très bon fran­çais. Ce dia­lecte local – qui donne un accent aux habi­tants qui le parlent – n’est pas du tout com­pré­hen­sible pour le reste des Néer­lan­dais. Ce qui ne les empêche pas de se bous­cu­ler pour venir se faire prendre en pho­to dans la ville tou­ris­tique. 

à lire dans