Porte d’entrée vers l’Europe, les Pays-Bas sont recouverts de 43 millions de mètres carrés d’entrepôts logistiques. À Sevenum, dans le Limbourg, les nouveaux projets d’aménagement agacent les habitants.
En périphérie de Sevenum, quelques rares maisons isolées font encore face aux immenses blocs de métal et serres d’une dizaine de mètres de haut. En moins de 20 ans, une zone d’activités de 400 hectares a remplacé les champs de verdure. Pour Lizette Vullings et son compagnon, John Jenniskens, ce nouveau paysage rappelle quotidiennement le souvenir amer de leur expropriation.
Cultivées par son grand-père, puis ses parents avant elle, les terres de Lizette Vullings, étaient utilisées par sa famille depuis un siècle. Enfant, elle y aidait son père pour arroser et retirer les mauvaises herbes, et était revenue s’y installer en 1993, à la fin de ses études. La commune de Horst, près de Sevenum, leur louait une vingtaine d’hectares, sur lesquels ils faisaient pousser des céréales, des betteraves et des pommes de terre.
En 2004, de nouveaux projets d’aménagement voient le jour, et avec eux, de nouvelles priorités. La province du Limbourg et certaines communes achètent des terrains en vue de les vendre à des entreprises d’horticulture. Les fermes familiales doivent laisser place aux serres, et Lizette Vullings et John Jenniskens sont contraints d’abandonner leur exploitation.
Comme l’agriculture n’est pas leur occupation principale, ils renoncent à leurs plantations, auxquelles ils consacraient une dizaine d’heures par semaine. Mais un hectare, qui borde leur jardin, fait partie de leur propriété. Un chemin de croix commence alors pour tenter de le garder, ou le vendre à leurs conditions. « La commune envoyait régulièrement quelqu’un négocier avec nous, mais aucune de nos demandes n’étaient prises en compte », raconte Lizette Vullings, qui se remémore avec douleur ces échanges. « Nous voulions au moins continuer à utiliser les terres le temps qu’ils construisent, mais c’est une autre entreprise agricole qui a eu ce droit », regrette-t-elle.
Menacés d’expropriation
C’est un arrêté royal la citant elle et ses voisins qui met fin au bras de fer, en 2010, après plus de quatre ans. La loi permet l’expropriation dans l’intérêt de l’aménagement du territoire, et le plan d’urbanisme prévoit une zone horticole à l’emplacement de la maison. La commune de Horst leur donne une dernière chance de vendre leur terre, sans passer par la justice, au prix de 9€/m², pour un peu plus de 96.000€. Cette fois, le couple accepte. « Nous voulions une vie de famille, on ne pouvait pas s’engager dans un procès qui allaient durer des années, avec très peu de chances de réussite », explique Lizette Vullings. Après la vente, la commune leur accorde un an pour quitter les lieux.
Une incompréhension persiste pourtant. « La forme et la taille du terrain n’était pas compatible avec la construction d’une serre », expose John Jenniskens, qui travaille lui-même dans le domaine horticole. « Sinon on aurait peut-être pu en faire une nous-mêmes. » Comme une confirmation de ses propos, ce sont finalement des panneaux solaires qui enserrent son jardin, et non pas les serres qui justifiaient l’expropriation.
Un carrefour entre la Belgique et l’Allemagne
Ces terrains ont été acquis en grande partie par Greenport Venlo, la société chargée de planifier l’aménagement du territoire, qui doit ensuite les redistribuer à des entreprises correspondant aux secteurs économiques prévus : horticulture et logistique. L’emplacement de la région, au carrefour entre la Belgique et l’Allemagne, attire en particulier les centres de distribution. Le flux incessant de poids lourds qui traverse l’autoroute reliant Anvers à Essen, en passant par Sevenum, le confirme.
Greenport Venlo est détenue en majorité par la province du Limbourg, le reste appartenant à Horst et deux autres communes des environs. Selon le chercheur Merten Nefs, qui a cartographié les réseaux logistiques des Pays-Bas, cette coopération entre province et communes est un exemple exceptionnel. « Avant, c’était le gouvernement central qui était responsable de l’aménagement du territoire, mais il y a eu une décentralisation au début des années 2000 », explique-t-il. Pour lui, une gestion comme celle de Greenport peut permettre d’harmoniser les constructions avec des espaces verts, de créer des corridors naturels et favoriser la biodiversité.
À Sevenum, les habitants reprochent cependant un déséquilibre entre les paroles et les actes de la société, rebaptisée Greyport. Greenport Venlo promettait en effet 400 hectares de nature pour 400 hectares de parc d’activités
« C’était très beau avant, il y avait des arbres et des prairies de chaque côté de la route », se souvient Jacques Bielen, dentiste à la retraite qui vit à Sevenum depuis plus de 50 ans. « Les petites fermes familiales ont laissé place à l’élevage et la culture intensifs, ajoute-t-il, mais un si petit pays ne devrait pas produire autant ». Les images satellites de la région confirment ses propos. La mosaïque de verts des champs au début des années 1990 est peu à peu remplacée par des carrés blancs et gris, avec une nette accélération dans la dernière décennie.
Pour John van Dooren, c’est l’un des principaux points de discorde. Voisin du parc d’activité de Greenport, témoin de première ligne de son évolution, il est devenu la figure de proue des contestataires. En déambulant dans le parc d’activités, il s’exaspère du manque d’effort fait pour l’environnement. « Certains endroits étaient déjà là, mais on nous les présente comme de nouveaux espaces naturels », affirme-t-il. « Et un terrain de golf de 100 hectares sera compté parmi les espaces verts. »
Depuis trois ans, il prend soin d’archiver tous les documents qui se rapportent au sujet, soigneusement triés dans de grandes enveloppes. Sur sa page Facebook, il informe presque quotidiennement sur les nouveaux projets de construction et leurs incohérences. Il coordonne le mouvement mis en place par des résidents pour s’organiser, quitte à mener des actions en justice si besoin.
En arrivant dans une zone appartenant à l’entreprise Geodis, John van Dooren retrouve soudainement le sourire. Un entrepôt y fait face à une étendue d’eau marécageuse. D’un côté de l’allée, quelques gravats et tuyaux de métal paraissent abandonnés. De l’autre, quelques canards se laissent porter par le mouvement des vaguelettes d’un lac qui ne devait pas exister. « L’entreprise voulait s’étendre, mais avec nos contestations, leur demande de permis est pour l’instant rejetée. On l’appelle le parc Geodis, c’est notre victoire. »