Dans la province de Hollande-Méridionale, un banc de sable a été créé pour lutter contre l’érosion côtière. En quelques années, le paysage a complètement changé. Cet archipel artificiel est un havre de paix pour les adeptes de ski nautique, mais aussi pour les personnalités atypiques.
Face à la mer, Jan, 60 ans, admire le paysage semi-artificiel de la côte est néerlandaise. Les mains enfoncées dans les poches de son blouson jaune, il avance au bord du rivage jusqu’à en avoir les chaussures mouillées. « Le moteur de sable a créé un espace pour tous les amoureux de la mer », déclare-t-il.
Le terme « moteur de sable » est trompeur. On pourrait imaginer un appareil brassant des grains sur le rivage. En réalité, il s’agit d’un dépôt massif extrait de la mer du Nord et déposé le long de la côte. Le vent, les vagues et les courants se chargent ensuite de le répartir. C’est à Kijkduin, à quelques kilomètres de La Haye, que le moteur de sable, ou « Zandmotor » en néerlandais, a été mis au point. « Pendant des années, les autorités luttaient contre l’érosion côtière en ajoutant du sable en petite quantité. Le but était de maintenir la ligne côtière telle qu’elle était en 1990. Avec le moteur de sable, on est à une échelle beaucoup plus grande », explique le chercheur en politique côtière de l’université de Leiden, Haye Geukes. Plus de 21 millions de mètres cubes de sable ont été déposés, l’équivalent de la moitié de la dune du Pilat.
Jan contemple de ses yeux bleus perçants la technologie qui a façonné ce paysage. « Ces dunes et ce lagon, dit-il en les pointant du doigt, ils n’existaient pas ». L’homme de soixante ans est un “strandjutter”. Il récupère des objets échoués sur le littoral. Dans un petit cabanon, à quelques mètres du moteur de sable, il expose ses trouvailles.
« Attention à la tête ! », prévient-il en franchissant le seuil de la porte. La pièce est étroite, les murs tapissés de ballons de pêche. Le rouge vif se mêle au rose taupe et au criard jaune, créant un contraste saisissant avec les planches en bois de la cabane. Jan les a retrouvés, échoués sur le rivage. Des casques, des filets de pêche, un amas de coquillages et des lunettes de soleil complètent ce tableau. Des objets insolites également : « Cette urne funéraire, je l’ai trouvée sur le rivage. Les cendres sont toujours dedans ». Pour Jan, il y a clairement un avant/après moteur de sable : « Je trouve de plus en plus de choses”.
À bord de son pick-up blanc, il parcourt le paysage lunaire de Kijkduin. Des dunes s’étendent à perte de vue. À mesure que nous avançons, les roues de la voiture s’enfoncent dans le sable. Pour conduire dans cette zone, il faut une licence spéciale, Jan l’a obtenue pour aller à la chasse au trésor. Au bout de quelques kilomètres, il s’arrête pour ramasser un bout de bois. « Je vais en faire une chaise », rigole-t-il. Autour de lui, il n’y a que des joggeurs et des oiseaux qui rompent avec la quiétude de l’endroit. « Les locaux l’appellent la plage silencieuse », déclare-t-il.
Un terrain de jeu pour les kitesurfeurs
À côté du grand lagon de la plage qui n’existait pas, il y a cinq ans, Samuel enfile une combinaison en néoprène. La plage est vide, et le soleil n’est pas encore totalement levé. Il étend son aile de kitesurf sur le sable, pour s’assurer qu’elle est correctement gonflée et que les lignes sont déployées sans enchevêtrement. « C’est mon rituel du matin », sourit-il en ajustant les réglages de son harnais. Le jeune homme de 23 ans est un adepte de kitesurf. Il vient sur la presqu’île du Zandmotor, pour s’entraîner. « Il faut me souhaiter bonne chance », crie-t-il avant de s’élancer. Après quelques figures, il finit par chuter. « Je n’ai pas l’habitude qu’on me regarde », s’excuse-t-il en sortant de l’eau.
Il vit dans le village de Ter Heijde à 5 km à l’est de la plage. « Le moteur de sable, c’est un vrai cadeau pour nous. Les lagons nous donnent accès à des endroits plus sûrs pour nous entraîner. »
Kevin Peet a fondé son école de kitesurf il y a trois ans. Il y a quelques années, il n’aurait jamais pu imaginer créer un business aussi florissant. « L’endroit est devenu le meilleur spot de kitesurf aux Pays-Bas », déclare-t-il. Un havre de paix, éphémère, car les lagons pourraient disparaître. La chercheuse en protection côtière à l’université de Leiden, Eva Lansu explique : « Sous l’effet des vagues et des forces physiques, ils deviennent de plus en plus petits, c’est une érosion naturelle et programmée. »
La chasse aux fossiles
La grande silhouette de Bastiaan van der Wal, emmitouflée dans un manteau noir, détonne dans la grisaille du matin. Paléontologue amateur, il arpente ces rivages deux fois par mois en quête de fossiles. Le sable, extrait de la mer du Nord, recèle de fossiles datant de l’âge de pierre. Autrefois, il n’y avait pas d’eau entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas « mais des paysages de marais avec des rivières et beaucoup d’animaux. C’est pour cela que l’on trouve beaucoup de fossiles ».
Muni de bottes en plastique et d’un filet, Bastiaan regarde attentivement le sol : « La plupart des fossiles sont brunâtres, donc je scrute tout avec attention”. Au bout de seulement dix minutes, il trouve un premier fossile d’un noir profond, minuscule et lisse, en forme de V. “Cela provient d’un poisson. Il est un peu usé. On peut le voir à cause de sa texture, je vais prendre une photo et la poster sur un groupe de paléontologues experts pour identifier l’âge et l’espèce.” Après une heure de marche, le sac du trentenaire s’est enrichi de trois fossiles. Les meilleurs jours, il en rapporte jusqu’à 75. “En venant ici, je me reconnecte à la nature”, assure Bastiaan.
Un paradis écologique ? « La technologie permet de maintenir les dunes, mais le sable vient des fonds marins et cela les perturbe, reste prudente la chercheuse Eva Lansu. Quand le sable est mis sur le rivage, la biodiversité se retrouve ensevelie. Donc en termes d’écologie, ce n’est pas l’idéal ». Mais l’experte l’admet du bout des lèvres : « ne rien faire n’est pas non plus la solution ».
« Il y aura toujours des gens pour critiquer », explique une joggeuse essoufflée avant de reprendre sa course. Pour Jan, “aujourd’hui, tout le monde aime ce lieu. Ce n’est pas uniquement fréquenté par les hurluberlus comme moi, plaisante-t-il. Il y a aussi des sportifs, des pêcheurs et des scientifiques ». Dans son blouson jaune, il charge les derniers objets qu’il a trouvés dans le coffre de sa voiture. Direction sa cabane pour ranger ses dernières trouvailles.