Le wax se vend en Europe comme un produit exotique tout droit venu d’Afrique. Pourtant, ce tissu à motifs est originaire des Pays-Bas. Un héritage de son histoire coloniale.
Au milieu des étals débordant d’huile de palme rouge, d’ignames maronnées et de bananes plantains, les arômes sautent au nez. Le marché de Kraaiennest, dans la banlieue d’Amsterdam, est un lieu cosmopolite. Le néerlandais, le portugais, le surinamien et le lingala cohabitent. Au fond, des stands de tissus. De wax plus exactement, ces tissus « typiquement africains ». Sur les étiquettes on peut lire : « 100% African Wax », « Made in Congo ».
Et pourtant, ces étoffes n’ont pas parcouru de longues distances pour arriver sur ce marché. Les chaînes de fabrication sont aux Pays-Bas, dans le sud du pays, près d’Eindhoven. Pour remonter le fil de ce tissu, direction la séculaire université de Leiden. Le professeur Pieter Emmer, spécialiste des migrations, arrive avec un gros dossier sous le bras. Au XIXe siècle les Pays-Bas sont présents en Indonésie, via leur Compagnie des Indes orientales. Le tissu confectionné dans ce pays s’appelle le batik. Les motifs sont obtenus par l’application de cire d’abeille puis de coloration. Et, en néerlandais, cire se dit… wax. Le batik se renomme alors wax, et s’apprête à faire un grand voyage.
Une histoire des colonies néerlandaises
« Les Pays-Bas, n’avaient pas de colonies en Afrique. Ils cherchaient donc un moyen de commercer avec les peuples environnants. Notamment pour rester présents dans les forteresses des ports négriers de la côte ouest », relate le Professeur Emmer. Les bateaux arrivaient à moitié chargés de fusils, d’alcool et à moitié de tissus wax et repartaient vers l’Amérique avec des esclaves. « Le textile est devenu une monnaie d’échange, et le wax était le joyau de la cargaison des navires hollandais », explique le chercheur.
Pour le Dr Pieter Emmer, une deuxième raison émerge au XXe siècle : « Lorsque l’Indonésie a proclamé son indépendance, les Pays-Bas ont lancé un appel international pour recruter des soldats afin de soutenir leurs forces armées. De nombreux Africains ont répondu à cet appel et se sont engagés pour 10 ans de service, avec la promesse que les Pays-Bas les rapatrient dans leur pays d’origine une fois la guerre terminée. » Au cours de leur service, ces recrues africaines des troupes néerlandaises ont découvert le wax, un tissu plus léger, moins coûteux à produire que les leurs, et idéal pour les climats chauds. À leur retour chez eux, ils l’ont introduit dans leurs communautés, contribuant ainsi à son adoption généralisée sur le continent africain.
Une production au détriment des patrimoines africains
Le wax a alors supplanté les tissus locaux. L’exposition « Je suis ce que je porte » du Wereldmuseum, gardien des mémoires coloniales néerlandaises, retrace notamment cette histoire. Avant l’hégémonie du tissu fabriqué par l’entreprise Vlisco depuis 1847, et encore aujourd’hui, existaient les tissus traditionnels africains comme le Kente, tissu lui aussi très coloré, en coton et typique de l’Afrique de l’Ouest. L’exposition montre comment les Néerlandais ont utilisé la technique indonésienne, copié les motifs du kente pour mettre au point leur wax.
Et de fait, ça a marché. « Dans l’imaginaire collectif, le wax est le tissu africain par excellence », explique Marie-Jeanne Serbin-Thomas, directrice de Brune, un magazine de presse féminine pour les afro-descendantes et les entrepreneuses. « Mais le wax a eu beaucoup de conséquences sur l’économie africaine », souligne-t-elle. Moins cher que ses concurrents traditionnels comme le kente, le bogolan ou encore le bazin, il a dominé l’ensemble du marché. « L’appétence pour le wax a détruit un certain nombre d’industries textiles locales traditionnelles », indique la directrice de Brune.
Autre conséquence, les motifs traditionnels jadis porteurs de significations particulières pour les populations locales, ont été remplacés par des créations standardisées. « Les dessins sont maintenant créés par ordinateur, un processus qui uniformise la vie culturelle », observe Marie-Jeanne Serbin-Thomas.
Se réapproprier le Wax
Dans une galerie marchande de Bijlmer, en périphérie d’Amsterdam, Eve Sawadogo tient une boutique de création de vêtements et d’accessoires. Derrière sa machine à coudre, des étagères remplies de rouleaux de tissu et en devanture des modèles de prêt-à-porter. La couturière d’origine burkinabè qui habite aux Pays-Bas depuis 14 ans n’utilise que du wax. « Le wax n’est pas un tissu africain ! Mais il est considéré comme tel, alors même si je connais mes tissus traditionnels, je l’utilise car il me permet de travailler, de faire travailler ma famille au Pays, et de promouvoir ma culture ici aux Pays-Bas », s’exclame-t-elle. Son teint de peau noire, uni, et ses traits fins laissent entrevoir des pommettes saillantes. Ève précise aussi que « le wax reste un tissu simple à manier permettant de confectionner des tenues traditionnelles mais aussi des créations modernes comme des corsets, des combinaisons et même des robes de mariées. »
Eve Sawadogo s’est fait connaître au moment du covid grâce à ses masques en wax. Plusieurs articles ont parlé d’elle, ce qui lui a permis de remplir son carnet. « Si je ne peux plus travailler avec, mieux vaut que je change de métier. » Selon elle, le wax lui a donné l’occasion de conquérir une clientèle nouvelle et en réalité peu africaine. « À Amsterdam, 80% de mes clients sont des Surinamiens, 15% des personnes blanches et seulement 5% des Africains. » Pour la couturière, le marché de ce tissu est simple à comprendre : « Les Néerlandais ont inondé le marché avec le wax, donc c’est une question de pragmatisme : s’il est là autant l’utiliser et en bénéficier aussi. »
La solution : les tissus traditionnels africains
Des alternatives africaines existent pourtant ! Marie-Jeanne Serbin-Thomas donne des pistes : « Au Burkina Faso, par exemple, le Faso Dan fani est un tissu semi-industriel utilisé par des créateurs locaux avec succès. De même, à Abidjan, Kente Gentleman est un créateur qui confectionne des vêtements en utilisant des tissus traditionnels tels que le Kita et le Kente. » La directrice de BRUNE l’assure : « Ces alternatives mettent en lumière la richesse et la diversité du textile africain, offrant aux consommateurs des choix de qualité plus authentiques et ancrés dans les traditions locales. » Au détour d’une anecdote elle taquine : « Le wax est tellement vendu par les grossistes qu’il n’est pas impossible que quand vous allez chez quelqu’un, vous vous aperceviez que votre robe est faite du même tissu que les coussins du canapé de votre hôte. »