« La Vie », club de strip dans le Quartier Rouge d’Amsterdam © Louise Martins Gonçalves / Kanaal

Une nuit dans un club de strip : entre plaisir et profit

Dans le Quar­tier rouge, consom­mer de l’érotisme n’est pas un tabou. Strip­tease, ser­vice topless, lap dance… de nom­breux clubs de strip se sont empa­rés de ce busi­ness tari­fé et sur­tout codi­fié. Nous avons pas­sé la nuit dans l’un d’entre eux.

Ils sont jeunes. Peut-être même pas majeurs. La lumière rouge les attire. Ils se rap­prochent de la vitrine. Se poussent des coudes. Tentent de regar­der à tra­vers les grosses vitres opaques. Ça ricane, ça glousse. De dehors, ils ne voient rien. Sur le côté, une petite pan­carte avec les horaires d’ouverture : 20 heures- 3 heures / sept jours sur sept. Les deux néons rouges affichent la cou­leur : strip­club.

Bras croi­sés et robes mou­lantes colo­rées, les filles attendent les clients. Cer­taines se maquillent encore autour du bar. Beau­coup vapotent. La pièce est plon­gée dans une brume sucrée.

Talons à pla­te­forme trans­pa­rents : l’u­ni­forme des dan­seuses du club. © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

Le club « La Vie » se longe comme un cou­loir. Un bar prin­ci­pal, deux barres de pole dance et des petites télé­vi­sions qui dif­fusent des clips de strip­tease. Les murs sont cou­verts d’un papier peint en faux marbre bon mar­ché et le pla­fond com­po­sé de leds plonge la salle dans un uni­vers sen­suel rouge et rose. 

Regard fuyant, polaire bleu marine, un pre­mier client s’installe. Il com­mande un verre. Ange­li­na s’appuie lour­de­ment sur le bar pour mon­ter sur le comp­toir. Mèches blondes, tatouage recou­vrant sa cuisse droite et talons à pla­te­forme trans­pa­rents, son allure est las­cive. Son pas, maî­tri­sé. En regar­dant sa robe bleue mou­lante, on peut devi­ner ses courbes géné­reuses. Elle ne la garde pas long­temps. D’un geste pré­cis, elle des­cend sa fer­me­ture éclair, lais­sant appa­raître ses sous-vête­ments en den­telle bleue. Ses gestes s’accélèrent, ses mains caressent ses seins. Son string glisse le long de sa cuisse. Les autres filles ne la regardent pas. Tout est nor­mal. Toutes com­mencent une nou­velle nuit de tra­vail.

« Elles ont les plus beaux seins que j’ai vus de ma vie et ici je peux les acheter »

Elles sont 34 dan­seuses à se relayer toute la semaine. Le club a ouvert dans les années 70 et fonc­tionne tou­jours de la même façon. À côté du bar, un petit feu de signa­li­sa­tion. Après vingt minutes de show, il passe à l’orange. Ange­li­na des­cend du bar et monte à l’étage se rha­biller. Le feu repasse au vert, deux autres filles la relaient.

Mal­gré les épreuves de la vie, Émi­lie garde un opti­misme sans faille. « Je suis une per­sonne pétillante ! ». © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

Émi­lie, longs che­veux blonds et faux cils inter­mi­nables est l’une des plus anciennes. Jeune maman en dif­fi­cul­té, elle a dû vite trou­ver un moyen de gagner de l’argent. Comme pour la plu­part des filles, Émi­lie s’est construit une seconde famille dans le club, quand sa véri­table lui a tour­né le dos. « J’étais le vilain petit canard », confie la jeune femme.

Pedro est guide tou­ris­tique à Amster­dam et il se rend dans le club une fois par semaine car dans le quar­tier, « c’est le seul bon endroit ouvert tard ». Émi­lie l’alpague. « Ça y est, elle essaie de me sou­ti­rer de l’argent ». Le guide dépense en moyenne 300 euros par soir et il ne cache pas ses moti­va­tions : « elles ont les plus beaux seins que j’ai vus de ma vie et ici je peux les ache­ter. »

À la frontière de la sensualité et de la sexualité

Tout le monde est à son poste. Prêt à jouer en per­ma­nence avec la fron­tière de la sexua­li­té et celle de la sen­sua­li­té. Cer­taines pointent du doigt les clients : « yes babe », « come on ». D’autres s’agenouillent direc­te­ment sur le bar : « Salut, tu viens d’où ? Tu veux une lap dance ? ». Com­pre­nez une danse éro­tique com­plè­te­ment nue fac­tu­rée 20 euros.

Entre les danses : l’attente, l’en­nui et la fatigue. © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

Et pour chaque oui ; qu’il soit franc, pro­non­cé ou juste acquies­cé, se joue alors la même cho­ré­gra­phie. D’abord un coup de chif­fon sur le bar humide de bières ren­ver­sées et deux jambes qui s’ouvrent jusqu’à entou­rer le client. Puis le bas­sin monte et l’entrejambe frôle leur visage. Les bras enlacent, le corps se tend, le dos se cambre et les mains des clients caressent leurs seins et serrent leurs fesses. D’un jeu de jambes, elles se retournent et bougent au rythme de la musique. Il y a les rapides, les sen­suelles, celles qui parlent, celles qui rigolent et puis celles sur qui on peut sai­sir un regard vide. Pour­tant, à la fin de la danse, après une fes­sée et un bisou sur la joue, c’est avec un grand sou­rire qu’elles demandent leur billet. Le client le glisse entre leurs seins. Et pour ceux qui n’ont pas la mon­naie, aucun pro­blème, elles prennent aus­si la carte. 

Cer­tains clients enchaînent les lap dances, d’autres passent la nuit à hési­ter. « C’est un club de strip pas de réflexion ! », s’agace une des filles. Les clients chantent, se poussent et inter­pellent les strip­tea­seuses en pause : « Tu tra­vailles ou pas ? Je veux te voir tra­vailler. Tra­vaille pour moi ! » 

Tout ce que j’ai dans ma vie c’est grâce au club.

Émi­lie, strip­tea­seuse et bar­maid

Un jeune couple se pose au comp­toir. 24 et 27 ans, ils viennent du Dane­mark. En vacances à Amster­dam, ils veulent par­ta­ger cette « expé­rience exci­tante ensemble ». La jeune femme l’as­sure : « Je ne suis pas jalouse car je suis là ». Pour­tant, lorsque son conjoint demande un lap dance, elle détourne le regard et paie sans même regar­der. Ils quittent le club quelques minutes plus tard.

De son tra­vail, Émi­lie assume tout. « Tout le monde le sait. C’est ma déci­sion et j’en suis fière. Tout ce que j’ai dans ma vie c’est grâce au club. » Mais cer­taines pré­fèrent com­par­ti­men­ter. « Mes enfants ne savent pas. Je leur dirai quand ils auront 18 ans. Ils savent juste que je bosse dans un bar », explique Fran­cisse. 

Vingt ans de service 

Au fond de la pièce, on ne voit qu’elle. Mel­la Jones est le pilier du club, elle y tra­vaille depuis vingt ans. À 60 ans, cette mère et grand-mère gère le bar trois soirs par semaine. Mel­la a com­men­cé sa car­rière comme offi­cier de police. Un tra­vail dont elle n’a pas sup­por­té la vio­lence. D’abord dan­seuse, elle ne vou­lait pas mon­trer ses seins « mais a vite vu l’argent qu’elle pou­vait se faire ».

Petits tips pour le ser­vice ?

Mel­la Jones, bar­maid du club

Aujourd’hui, elle tra­vaille seins nus.  Un « ser­vice » qu’elle tente de fac­tu­rer à chaque client : « petits tips pour le topless ? » Si oui, elle agite ses seins et envoie un bisou. Dans le cas inverse, elle gri­mace et tourne les talons. Désor­mais, Mel­la ne danse plus « je ne suis plus obli­gée de m’assoir sur les clients et heu­reu­se­ment car il n’y a que mon mari que j’ai envie de sen­tir. »

Mel­la connait toutes les filles. « Contrai­re­ment à d’autres club, on pense col­lec­tif, on se sou­tient toutes. » © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

C’est elle qui réper­to­rie tous les verres que les filles se font offrir afin de leur ver­ser ensuite leur com­mis­sion. Car le club est for­mel, en plus du prix du billet d’entrée (20 euros), c’est bois­son obli­ga­toire et Mel­la ne manque pas de le rap­pe­ler « Si tu ne bois pas, tu vas dehors », « et vite » iro­nisent les clients habi­tués. Ici, les tarifs sont un peu plus éle­vés, « on n’est pas dans un bar nor­mal », tranche-t-elle. 

En vingt ans, la bar­maid a ser­vi des mil­liers de clients, « 50% de tou­ristes, l’autre moi­tié : des Hol­lan­dais régu­liers », estime-t-elle. À La Vie, même si les nuits s’enchaînent, elles ne se res­semblent pas. « Chaque soir est dif­fé­rent. Vous pou­vez avoir 40 clients le jeu­di, et 400 le same­di. Les soirs de match, c’est quelque chose. »

Les règles sont claires : « ni bisou, ni acte sexuel », assure Mel­la. Et toute l’équipe y veille. « Ce mec-là, il est sym­pa mais j’ai enten­du dire qu’il jouait par­fois avec la limite. Je le sur­veille. »

Le stripbusiness

Pour Dai­sy, c’est la pre­mière nuit au club comme dan­seuse. Che­veux courts, col­liers de perles et sous-vête­ment vert en den­telle. Ses lap dances durent plus long­temps que les autres. Elle sou­rit tout le temps, ses gestes sont fébriles, presque hési­tants.

Daniel est un busi­ness­man anglais en voyage d’affaires. Il déteste quand les filles viennent le cher­cher. Il leur tend des billets de vingt euros pour qu’elles arrêtent de l’importuner. Lui, il veut choi­sir. Et cette nuit, il a choi­si Dai­sy. Il ne la quitte pas des yeux. Elle lui fait une lap dance. A peine finie, il en repaie une. « Pour être hon­nête, je me rap­pelle plus son nom mais elle me recon­naî­tra et moi je paie des verres chers », se dédouane-t-il avant d’ajouter, « Les hommes comme moi on sait pour­quoi on est là. C’est une socié­té de consom­ma­tion et les dan­seuses en sont les pro­duits. ».

Toute la soi­rée c’est un défi­lé de sous-vête­ments : tur­quoise, léo­pard, en den­telles et même en cuir. © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

Tout au fond du bar, deux tabou­rets plus iso­lés. Ces places, Mel­la les réserve à ses meilleurs clients. Ceux qui la contactent direc­te­ment par What­sApp pour s’as­su­rer que leur « favo­rites » seront bien pré­sentes. Ce soir-là, elle en attend un gros. À peine arri­vé, elle lui sert un mag­num de Moët et Chan­don à 350 euros et s’en sert une coupe qu’elle des­cend d’un trait.

Une der­nière pièce est inac­ces­sible, le bureau de Lex, le mana­ger. Il assume com­plè­te­ment ce busi­ness de com­mer­cia­li­sa­tion du corps et le défend : « ici les filles sont pro­té­gées et peuvent tra­vailler seules sans homme jouant l’intermédiaire ». Car pour chaque pres­ta­tion, le club ne prend aucune com­mis­sion et tire son pro­fit uni­que­ment des entrées et des consom­ma­tions. Les filles gagnent en moyenne entre 3 000 et 4 000 euros par mois.

Une nouvelle nuit au paradis 

Les filles s’ha­billent et se désha­billent sans cesse. L’excitation des uns se voit, la fatigue des autres aus­si. « Qui veut ma der­nière danse ? », inter­pellent les der­nières filles sur le bar. À 2h54 la musique se coupe et la lumière se ral­lume. Les visages des der­niers clients appa­raissent au grand jour. Ils fuient. 

L’o­deur des pro­duits ména­gers dis­sipe celle du cham­pagne. Les bar­maids lavent leur bar. Lex ferme le club avant de dire au revoir aux filles. Mel­la sou­pire. « Dès demain on sera repar­ti pour une nou­velle nuit à offrir le para­dis. »

Nuit et jour, les néons du club brillent dans les rues du quar­tier rouge. © Louise Mar­tins Gon­çalves / Kanaal

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