Dans le Quartier rouge, consommer de l’érotisme n’est pas un tabou. Striptease, service topless, lap dance… de nombreux clubs de strip se sont emparés de ce business tarifé et surtout codifié. Nous avons passé la nuit dans l’un d’entre eux.
Ils sont jeunes. Peut-être même pas majeurs. La lumière rouge les attire. Ils se rapprochent de la vitrine. Se poussent des coudes. Tentent de regarder à travers les grosses vitres opaques. Ça ricane, ça glousse. De dehors, ils ne voient rien. Sur le côté, une petite pancarte avec les horaires d’ouverture : 20 heures- 3 heures / sept jours sur sept. Les deux néons rouges affichent la couleur : stripclub.
Bras croisés et robes moulantes colorées, les filles attendent les clients. Certaines se maquillent encore autour du bar. Beaucoup vapotent. La pièce est plongée dans une brume sucrée.
Le club « La Vie » se longe comme un couloir. Un bar principal, deux barres de pole dance et des petites télévisions qui diffusent des clips de striptease. Les murs sont couverts d’un papier peint en faux marbre bon marché et le plafond composé de leds plonge la salle dans un univers sensuel rouge et rose.
Regard fuyant, polaire bleu marine, un premier client s’installe. Il commande un verre. Angelina s’appuie lourdement sur le bar pour monter sur le comptoir. Mèches blondes, tatouage recouvrant sa cuisse droite et talons à plateforme transparents, son allure est lascive. Son pas, maîtrisé. En regardant sa robe bleue moulante, on peut deviner ses courbes généreuses. Elle ne la garde pas longtemps. D’un geste précis, elle descend sa fermeture éclair, laissant apparaître ses sous-vêtements en dentelle bleue. Ses gestes s’accélèrent, ses mains caressent ses seins. Son string glisse le long de sa cuisse. Les autres filles ne la regardent pas. Tout est normal. Toutes commencent une nouvelle nuit de travail.
« Elles ont les plus beaux seins que j’ai vus de ma vie et ici je peux les acheter »
Elles sont 34 danseuses à se relayer toute la semaine. Le club a ouvert dans les années 70 et fonctionne toujours de la même façon. À côté du bar, un petit feu de signalisation. Après vingt minutes de show, il passe à l’orange. Angelina descend du bar et monte à l’étage se rhabiller. Le feu repasse au vert, deux autres filles la relaient.
Émilie, longs cheveux blonds et faux cils interminables est l’une des plus anciennes. Jeune maman en difficulté, elle a dû vite trouver un moyen de gagner de l’argent. Comme pour la plupart des filles, Émilie s’est construit une seconde famille dans le club, quand sa véritable lui a tourné le dos. « J’étais le vilain petit canard », confie la jeune femme.
Pedro est guide touristique à Amsterdam et il se rend dans le club une fois par semaine car dans le quartier, « c’est le seul bon endroit ouvert tard ». Émilie l’alpague. « Ça y est, elle essaie de me soutirer de l’argent ». Le guide dépense en moyenne 300 euros par soir et il ne cache pas ses motivations : « elles ont les plus beaux seins que j’ai vus de ma vie et ici je peux les acheter. »
À la frontière de la sensualité et de la sexualité
Tout le monde est à son poste. Prêt à jouer en permanence avec la frontière de la sexualité et celle de la sensualité. Certaines pointent du doigt les clients : « yes babe », « come on ». D’autres s’agenouillent directement sur le bar : « Salut, tu viens d’où ? Tu veux une lap dance ? ». Comprenez une danse érotique complètement nue facturée 20 euros.
Et pour chaque oui ; qu’il soit franc, prononcé ou juste acquiescé, se joue alors la même chorégraphie. D’abord un coup de chiffon sur le bar humide de bières renversées et deux jambes qui s’ouvrent jusqu’à entourer le client. Puis le bassin monte et l’entrejambe frôle leur visage. Les bras enlacent, le corps se tend, le dos se cambre et les mains des clients caressent leurs seins et serrent leurs fesses. D’un jeu de jambes, elles se retournent et bougent au rythme de la musique. Il y a les rapides, les sensuelles, celles qui parlent, celles qui rigolent et puis celles sur qui on peut saisir un regard vide. Pourtant, à la fin de la danse, après une fessée et un bisou sur la joue, c’est avec un grand sourire qu’elles demandent leur billet. Le client le glisse entre leurs seins. Et pour ceux qui n’ont pas la monnaie, aucun problème, elles prennent aussi la carte.
Certains clients enchaînent les lap dances, d’autres passent la nuit à hésiter. « C’est un club de strip pas de réflexion ! », s’agace une des filles. Les clients chantent, se poussent et interpellent les stripteaseuses en pause : « Tu travailles ou pas ? Je veux te voir travailler. Travaille pour moi ! »
Tout ce que j’ai dans ma vie c’est grâce au club.
Émilie, stripteaseuse et barmaid
Un jeune couple se pose au comptoir. 24 et 27 ans, ils viennent du Danemark. En vacances à Amsterdam, ils veulent partager cette « expérience excitante ensemble ». La jeune femme l’assure : « Je ne suis pas jalouse car je suis là ». Pourtant, lorsque son conjoint demande un lap dance, elle détourne le regard et paie sans même regarder. Ils quittent le club quelques minutes plus tard.
De son travail, Émilie assume tout. « Tout le monde le sait. C’est ma décision et j’en suis fière. Tout ce que j’ai dans ma vie c’est grâce au club. » Mais certaines préfèrent compartimenter. « Mes enfants ne savent pas. Je leur dirai quand ils auront 18 ans. Ils savent juste que je bosse dans un bar », explique Francisse.
Vingt ans de service
Au fond de la pièce, on ne voit qu’elle. Mella Jones est le pilier du club, elle y travaille depuis vingt ans. À 60 ans, cette mère et grand-mère gère le bar trois soirs par semaine. Mella a commencé sa carrière comme officier de police. Un travail dont elle n’a pas supporté la violence. D’abord danseuse, elle ne voulait pas montrer ses seins « mais a vite vu l’argent qu’elle pouvait se faire ».
Petits tips pour le service ?
Mella Jones, barmaid du club
Aujourd’hui, elle travaille seins nus. Un « service » qu’elle tente de facturer à chaque client : « petits tips pour le topless ? » Si oui, elle agite ses seins et envoie un bisou. Dans le cas inverse, elle grimace et tourne les talons. Désormais, Mella ne danse plus « je ne suis plus obligée de m’assoir sur les clients et heureusement car il n’y a que mon mari que j’ai envie de sentir. »
C’est elle qui répertorie tous les verres que les filles se font offrir afin de leur verser ensuite leur commission. Car le club est formel, en plus du prix du billet d’entrée (20 euros), c’est boisson obligatoire et Mella ne manque pas de le rappeler « Si tu ne bois pas, tu vas dehors », « et vite » ironisent les clients habitués. Ici, les tarifs sont un peu plus élevés, « on n’est pas dans un bar normal », tranche-t-elle.
En vingt ans, la barmaid a servi des milliers de clients, « 50% de touristes, l’autre moitié : des Hollandais réguliers », estime-t-elle. À La Vie, même si les nuits s’enchaînent, elles ne se ressemblent pas. « Chaque soir est différent. Vous pouvez avoir 40 clients le jeudi, et 400 le samedi. Les soirs de match, c’est quelque chose. »
Les règles sont claires : « ni bisou, ni acte sexuel », assure Mella. Et toute l’équipe y veille. « Ce mec-là, il est sympa mais j’ai entendu dire qu’il jouait parfois avec la limite. Je le surveille. »
Le stripbusiness
Pour Daisy, c’est la première nuit au club comme danseuse. Cheveux courts, colliers de perles et sous-vêtement vert en dentelle. Ses lap dances durent plus longtemps que les autres. Elle sourit tout le temps, ses gestes sont fébriles, presque hésitants.
Daniel est un businessman anglais en voyage d’affaires. Il déteste quand les filles viennent le chercher. Il leur tend des billets de vingt euros pour qu’elles arrêtent de l’importuner. Lui, il veut choisir. Et cette nuit, il a choisi Daisy. Il ne la quitte pas des yeux. Elle lui fait une lap dance. A peine finie, il en repaie une. « Pour être honnête, je me rappelle plus son nom mais elle me reconnaîtra et moi je paie des verres chers », se dédouane-t-il avant d’ajouter, « Les hommes comme moi on sait pourquoi on est là. C’est une société de consommation et les danseuses en sont les produits. ».
Tout au fond du bar, deux tabourets plus isolés. Ces places, Mella les réserve à ses meilleurs clients. Ceux qui la contactent directement par WhatsApp pour s’assurer que leur « favorites » seront bien présentes. Ce soir-là, elle en attend un gros. À peine arrivé, elle lui sert un magnum de Moët et Chandon à 350 euros et s’en sert une coupe qu’elle descend d’un trait.
Une dernière pièce est inaccessible, le bureau de Lex, le manager. Il assume complètement ce business de commercialisation du corps et le défend : « ici les filles sont protégées et peuvent travailler seules sans homme jouant l’intermédiaire ». Car pour chaque prestation, le club ne prend aucune commission et tire son profit uniquement des entrées et des consommations. Les filles gagnent en moyenne entre 3 000 et 4 000 euros par mois.
Une nouvelle nuit au paradis
Les filles s’habillent et se déshabillent sans cesse. L’excitation des uns se voit, la fatigue des autres aussi. « Qui veut ma dernière danse ? », interpellent les dernières filles sur le bar. À 2h54 la musique se coupe et la lumière se rallume. Les visages des derniers clients apparaissent au grand jour. Ils fuient.
L’odeur des produits ménagers dissipe celle du champagne. Les barmaids lavent leur bar. Lex ferme le club avant de dire au revoir aux filles. Mella soupire. « Dès demain on sera reparti pour une nouvelle nuit à offrir le paradis. »